En mode rural !

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Les Mauvaises Herbes de Louis Bélanger

 

Par Camille Arteau-Leclerc

Depuis quelque temps, une tendance s’est développée au sein des productions cinématographiques québécoises. L’urbanité des grandes villes est mise de côté au profit des tournages en milieu rural. De  nombreux films sortis récemment semblent prouver ce phénomène. L’exode des grandes villes a commencé à prendre de l’ampleur dans le cinéma québécois depuis le début des années 2010; des films comme La Chasse au Godard d’AbbittibbiLe Démantèlement et Ressac, tous sortis en 2013, sont caractérisés par leurs décors campagnards et le profond désir de dépeindre la vie en région. Présentement, on peut aussi observer cet élan rural dans plusieurs productions ayant pris à l’affiche depuis le début de l’année : Les Mauvaises Herbes, Boris sans Béatrice, La Démolition familiale ou encore Le Rang du lion pour n’en citer que quelques-uns. Cette tendance se poursuivra en avril avec les sorties de Avant les rues et de L’Origine des espèces, tout comme celles prévues pour l’automne avec Feuilles mortes et Desperado, tous deux  tournés dans la région de Québec.

De passage récemment dans la capitale pour la promotion de son film Les Mauvaises Herbes, le réalisateur Louis Bélanger mentionne : « Il y a eu, dans les années 80, beaucoup des films faits dans les lofts du Plateau-Mont-Royal. J’en avais un petit peu mon casque de ça », confirmant une tendance qui rendait plutôt homogène l’allure de notre cinéma. Bélanger n’en est d’ailleurs pas à son premier film dans un environnement campagnard. On peut supposer qu’il a une certaine affection pour les lieux reculés puisque ses films récents comme Route 132 et Timekeeper n’ont pas été tournés en ville. Dans son nouveau long métrage, la campagne est d’une importance capitale, car elle sert de cadre à une amitié improbable entre un vieil homme solitaire, un acteur endetté et une employée d’Hydro-Nord. La ruralité affecte donc positivement et impérativement les relations entre les personnages de son film.

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Boris sans Béatrice de Denis Côté

Boris sans Béatrice, de son côté, a été réalisé par Denis Côté, connu pour ses films Bestiaire et Vic + Flo ont vu un ours. Sa plus récente réalisation raconte l’histoire de Boris Malinowski qui, dans sa luxueuse maison de campagne, veille sur son épouse atteinte d’un mal étrange. Le personnage de Boris (joué par un James Hyndman trop rare au cinéma et formidable dans ce rôle) se voit forcer d’entamer une remise en question fort profonde de sa personnalité. Dans ce drame psychologique, la ruralité s’affiche comme étant un lieu de réflexion et de guérison très bourgeois, rappelant un peu la campagne que Denys Arcand avait illustrée dans Le Déclin de l’empire américain et plus récemment dans Le Règne de la beauté. La ruralité dans Boris sans Béatrice rime donc avec richesse et bien-être malgré la détresse que subissent les personnages principaux.

Même les documentaires n’échappent pas à ce désir d’explorer les régions. Dans La Démolition familiale, Patrick Damien nous transporte dans sa région natale : le comté de Bellechasse. On y fait la connaissance de Marika et Christopher, deux jeunes amateurs de derby de démolition automobile, une activité qui semble très prisée dans différents villages de la province. À travers la caméra de Damien, on observe l’influence rurale à son meilleur : les personnages, ayant tous un lien de sang ou presque, vivant en symbiose et partageant une rang-du-lionpassion commune : patenter la mécanique automobile et trafiquer les moteurs. Tourné en Estrie dans une maison de ferme isolée, Le Rang du lion de Stéphan Beaudoin,  de son côté, relate en fiction l’arrivée dans une petite secte d’un jeune couple en manque de repères. Le huis clos du récit a aidé à souder l’équipe pendant le tournage comme le souligne son réalisateur : « Ça a vraiment créé une cohésion, ça a tissé des liens et intensifié la dynamique entre les personnages ». Pendant les onze jours, les comédiens ainsi que l’équipe technique ont vécu ensemble jour et nuit sur les lieux du tournage, loin de la ville et de ses distractions, à l’image des personnages du film. Encore une fois, la campagne, omniprésente, est synonyme de rapprochement entre les membres d’une même communauté.

En bref, il faudra vérifier si cette tendance sera là pour durer même si, en 2016, l’urbanité est encore mise en valeur dans quelques-uns de nos longs métrages (Montréal la blanche, Nitro Rush). La campagne, elle, est porteuse de plusieurs significations, tant du côté familial, psychologique que social. Cette tendance de sortir des grandes villes joue inévitablement un rôle clé dans les relations entre les personnages, et même entre les acteurs, donnant une couleur locale et originale aux récits qui se retrouvent au grand écran!

Primeur Made In France

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Made in France de Nicolas Boukhrief

Beaucoup de films fort intéressants prennent l’affiche vendredi prochain dont le drame passionnel Mon roi de Maïween, mettant en vedette Vincent Cassel et Emmanuelle Bercot et aussi l’incontournable et troublant Made in France de Nicolas Boukhrief. Ce dernier film, abordant le terrorisme, sort sur nos écrans en grande primeur, dans le sens où en France, à la suite des attentats du 13 novembre dernier, on a préféré avec raison annuler sa sortie en salle (prévue cinq jours plus tard), laisser retomber la poussière et l’offrir en VSD (vidéo sur demande) uniquement.

De passage au Québec pour faire la promotion de son sixième « long » qu’il a coscénarisé avec Éric Besnard, le cinéaste Nicolas Boukhrief (Le Convoyeur) avoue ne pas avoir été déçu que Made in France ne prenne pas l’affiche dans les cinémas puisque la situation l’ordonnait. La décision fut rapidement prise et l’option du VSD s’est imposée d’elle-même, les exploitants de salle craignant avec raison l’idée même de projeter une œuvre sur un sujet aussi chaud. Porté par le talent de ses interprètes, Malik Zidi (Gouttes d’eau sur pierres brûlantes) et Dimitri Storage (le Patrick Esposito des Colocs dans Dédé, à travers les brumes) en tête, le récit se penche sur l’enquête d’un journaliste qui infiltre une petite cellule de djihadistes en banlieue de Paris.

Bien que Made in France soit une fiction, il apparaît aujourd’hui comme un long métrage prémonitoire, et ce, encore plus depuis les informations que les médias relaient sur l’enquête sur le réseau terroristes djihadistes en France et en Belgique. Le réalisateur voulait, avec ce film, nous démontrer que malheureusement les terroristes actuels subissent un embrigadement plus sectaire qu’idéologique. « Ces 4811101_6_c31a_affiche-du-film-made-in-france-de-nicolas_e2298f3bea2f6d90dc3fc20c8ced062fjeunes, ils se font laver le cerveau. Ils n’agissent pas de façon lucide pour une cause », de préciser Boukhrief qui a planché durant plusieurs années sur son scénario. « Le processus de création a été long, surtout qu’il fallait ensuite convaincre les gens du milieu du cinéma de l’importance du sujet, et inévitablement, ça faisait peur, mais aussi, étonnamment, pour certains, il y avait une indifférence face au terrorisme, comme si cet univers était trop exagéré, trop invraisemblable », de dire celui qui tenait à ce que son film soit à teneur populaire afin de rejoindre le plus de jeunes possible. « Heureusement, je n’ai jamais douté de la sincérité et de l’utilité du projet. D’ailleurs, plusieurs œuvres semblent suivre cette voie et aborder de différentes façons le terrorisme en France, mais ce qui distingue Made Ii France des autres, c’est qu’il est au coeur de la cellule terroriste, il ne raconte pas l’histoire des victimes, de ceux qui subissent, mais de ceux qui deviennent des kamikazes », ajoute-t-il.

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Nicolas Boukhrief, réalisateur

Le réalisateur espère que son film, dans l’absolu, puisse servir de sujet de réflexions chez les jeunes face à la propagande. En optant pour une approche qui relève du thriller, il croit pouvoir susciter la curiosité d’un jeune public peu friand de longs métrages trop intellectuels. Boukhrief tenait aussi à ce que son long métrage humanise ses personnages et s’éloigne des clichés d’usage souvent mis de l’avant dans les films d’action américains. En VSD, Made in France a eu du succès et a aussi rejoint beaucoup de jeunes à cause du piratage sur Internet. Les ventes à l’étranger vont aussi bon train et le Canada est le premier pays à le sortir en salle. Hélas, c’est un succès que l’équipe peut difficilement fêter, compte tenu du climat actuel de peur qui sévit en Europe.

Nicolas Boukhrief travaille présentement sur une nouvelle adaptation cinématographique du roman Léon Morin, prêtre (déjà adapté par Melville en 1961). Son film, relatant la relation entre une jeune veuve juive et un prêtre catholique durant l’Occupation, s’intitulera La Confession et mettra en vedette Romain Duris et Marine Vacht (Jeune et jolie de Ozon). Il prendra l’affiche « en salle » en 2017. D’ici là, sur grand écran, Made in France est à voir!

10 films à ne pas manquer en avril 2016

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Avril est souvent taxé de mois tampon dans le calendrier des sorties de films, concluant une saison hivernale 2016 fort surprenante (Son of Saul, The Revenant, El Club) et précédant les inévitables gros blockbusters de l’été (Civil War, X-Men Apocalypse). Il n’en reste pas moins que plusieurs longs métrages prévus ce mois-ci suscitent un réel attrait. Voici les dix titres prévus en avril qui semblent se démarquer du lot.

1- Démolition : L’intérêt pour ce film se résume en une phrase : Jean-Marc Vallée qui dirige Jake Gyllenhaal dans un long métrage relatant la détresse d’un homme qui vient de perdre sa femme. On a hâte! Date de sortie : 8 avril.

2- Le Clan : Mégasuccès en Argentine, cette réalisation se penche sur l’histoire peu reluisante d’une famille corrompue, issue du régime politique dictatorial et prête à tout pour conserver ses avantages. Date de sortie : 8 avril.

3- Hardcore Henry : Rebaptisé Hostile en français, ce film d’action dopé à l’adrénaline a été entièrement tourné en caméra subjective. Le visuel, aussi attirant qu’agressif, nous fait suivre le parcours d’un être mi- 262042homme, mi-cyborg, qui tente de retrouver sa femme kidnappée par un psychopathe russe. Date de sortie : 8 avril.

4- Avant les rues : Abordant le dilemme opposant la modernité au respect des traditions chez les Premières Nations, cette première réalisation de la Québécoise Chloé Leriche a été tournée sur une réserve atikamekw et raconte avec beaucoup d’habileté la fuite d’un jeune autochtone soupçonné de meurtre. Date de sortie : 15 avril.

5- Made in France : Un long métrage étonnant sur l’embrigadement de jeunes, en France, au sein de cellules terroristes islamistes. Construit comme un thriller, Made in France, avec brio, dérange autant qu’il séduit.  Date de sortie : 15 avril.

6- Mon roi : Vincent Cassel et Emmanuelle Bercot sont absolument formidables dans ce film intense signé Maïwenn. Les deux acteurs forment un couple qui carbure à la passion et aux disputes, deux êtres cimentés et gangrenés par l’amour. Date de sortie : 15 avril.

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Mon roi avec Vincent Cassel et Emmanuelle Bercot

7- Le Bouton de nacre :  Ce documentaire du Chilien Patricio Guzman (Nostalgie de la lumière) s’intéresse au cosmos, à l’eau, à la Patagonie, au massacre des indigènes et aux effets de la dictature chilienne. Malgré la dureté de son propos, Le Bouton de nacre demeure une oeuvre poétique envoutante. Date de sortie : 15 avril.

8- Le Livre de la jungle : Jon Favreau (Iron Man 1 et 2) adapte ce conte mythique de Kipling popularisé en dessin animé par Disney, mêlant ici prises de vue réelles et animation et qui semble profiter d’une mise en images époustouflante, à la fois réaliste et féérique. On est curieux. Date de sortie : 15 avril.

9- A Hologram for the King : L’Allemand Tom Tykwer (Cours, Lola, cours) est dû pour nous offrir un bon film. Le cinéaste dirige Tom Hanks dans ce drame financier original, s’attardant au voyage en Arabie saoudite d’un Américain déterminé à éviter la faillite en quêtant l’aide d’un puissant monarque. Date de sortie : 22 avril.

10- The Dark Horse :  Ce film biographique provenant de la Nouvelle-Zélande raconte la vie de Genesis Potini, un Maori champion d’échecs aux prises avec des troubles de bipolarité. Cliff Curtis, vu dans Once Were Warriors joue le rôle principal. Date de sortie : 29 avril.

Sortir du rang sous les étoiles

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Trois films québécois ont pris l’affiche vendredi passé : le documentaire La Démolition familiale, et deux fictions, Le Rang du lion et Mobile étoile. Le réalisateur du Rang du lion, Stéphane Beaudoin, ainsi que l’acteur Luc Picard, qui joue dans Mobile étoile, se prêtaient au jeu de la promotion de leurs films la semaine dernière. Voici un résumé de leurs propos. Veuillez noter que l’entrevue avec Luc Picard a été réalisée et retranscrite par Camille Arteau-Leclerc, stagiaire en journalisme.

Stéphane Beaudoin ne manque pas de travail, réalisant de nombreuses séries télévisées et bossant en même temps sur plusieurs projets de films. Son premier long métrage, Le Rang du lion, coscénarisé avec sa conjointe Sophie-Anne Beaudry, a été réalisé sur une période de près de quatre ans. Hormis Sébastien Delorme, tous les comédiens du film en étaient à leurs premiers pas cinématographiques, une volonté de la part du réalisateur qui tenait à nous faire découvrir de nouveaux visages tout en rendant anonyme ses personnages. Le film relate le parcours d’un jeune 12764319_1019731271439993_1541756119073888193_ohomme (Frédéric Lemay) en manque de repères et qui, par amour pour une femme, décide de s’intégrer à un groupe dont le leader (Sébastien Delorme) enseigne des principes de croissance personnelle à l’aide de méthodes plutôt inquiétantes. L’ensemble se base sur la théorie du surhomme de Nietzsche, un auteur dont les théories ont marqué la coscénariste du Rang du lion lors de ses études universitaires.

Un long métrage avec un tel sujet peut facilement tomber dans le ridicule. Il était donc fort important que le pseudo-gourou démontre de façon crédible toute son ascendance sur les membres de sa petite secte. « La ligne est mince, on ne voulait pas baser tout ça sur la religion, mais bien sur une idéologie forte et pernicieuse », de dire le cinéaste. Il ajoute : « On a pris le temps sur le plateau de bien faire les choses, de rester dans l’émotion et pas uniquement dans la psychologie. En même temps, on n’avait pas beaucoup de marge de manœuvre, car le film a été tourné en onze jours. La maison de campagne est au cœur du récit. Toute l’action s’y déroule. Ajouté à l’absence de technologie dans le film, pas de télé, pas d’internet, tout ça nous ramène un peu à l’esprit des années 70, à la quête de soi, aux communes de cette époque souvent basées sur diverses thérapies très reliées à la nature. Ça attirait des gens qui voulait se détacher de leur quotidien ».

Le Rang du lion est un huis clos qui tire sa force d’un scénario habile et de la qualité du jeu de ses interprètes principaux. Actuellement, Stéphane Beaudoin se penche déjà sur l’écriture de son troisième long métrage, lui qui tournait l’automne passé à Drummondville son second, Yankee, un film se déroulant dans un fight club et avec comme personnage principal une jeune fille de dix-neuf ans prise dans cet univers violent.

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Géraldine Pailhas et Luc Picard dans Mobile étoile

Luc Picard était de passage à Québec récemment pour faire la promotion du film Mobile Étoile réalisé par le Franco-Israélien Raphaël Nadjari. Dans ce film québécois, coproduit avec la France, et auparavant nommé Yzkor, l’acteur québécois tient l’un des rôles principaux : celui de Daniel Dussault. Aux côtés de Géraldine Pailhas et Éléonore Lagacé, Picard interprète un pianiste au sein d’un petit ensemble vocal qui essaie de survivre au manque de financement dans le domaine des arts. Voici ce qu’il avait à répondre au sujet du film et de la pratique de son métier en général :

Camille Arteau-Leclerc : Le film traite entre autres du manque de financement dans le milieu des arts, ce qui est très d’actualité au Québec. D’après vous, ce manque de financement a eu quelles conséquences sur le milieu artistique québécois ces dernières années ?

Luc Picard : Il y a tellement de places où l’on peut voir les conséquences de ça. Bon, déjà Radio-Canada qui devra déménager et ensuite nous, les acteurs, dans notre façon de travailler. Quand je faisais une série avant, on tournait sept ou huit scènes dans une journée. Maintenant, c’est 24 scènes. Donc, on ne fait qu’une prise au final pour une scène. Quand quelqu’un me dit que je suis bon ou pas bon dans une série,  je ne sais pas quoi répondre. Moi, j’ai une prise, donc je fais ce que je peux et 111671.jpg-c_215_290_x-f_jpg-q_x-xxyxxaprès je m’en vais me changer le plus rapidement possible. Les coupures, c’est partout, au théâtre et au cinéma aussi. La culture, c’est le ciment de la société. C’est vraiment le ciment de la société. C’est là où l’on se dit ensemble, voici ce que l’on pense, ce que l’on est ensemble. Et là, on se reconnaît tous ou on ne se reconnaît pas là-dedans, mais c’est fondamental dans l’identité d’une nation. Donc, c’est grave. Je trouve ça très grave.

C.A.-L. : Vous avez réalisé quelques films dans le passé. En quoi votre expérience en tant que réalisateur affecte-t-elle ou modifie-t-elle la façon dont vous abordez vos rôles désormais?

L.P. : Je suis plus docile que je ne l’étais! Je comprends plus ce que la personne en face de moi a sur les épaules. Avant, j’étais vraiment impitoyable! Non, non, je n’étais pas impitoyable (rires) … Ça m’a toujours intéressé la réalisation. Pas autant que le jeu, mais ça m’intéresse quand même. Donc, j’ai toujours été observateur de tout ce qui se passe sur les plateaux quand je joue. Mais tant que tu ne l’as pas vécu toi-même, tant que tu n’as pas eu cette charge-là sur les épaules, ben tu ne peux pas savoir c’est quoi. À partir du moment où je l’ai fait, il y a deux choses que j’ai réalisées. Premièrement, comme je sais c’est quoi, je respecte plus la bulle de la personne qui réalise. Autre chose, comme je suis un réalisateur et je ne veux pas être perçu sur un plateau comme étant un réalisateur, je me mêle vraiment pas trop de ces trucs-là…moins qu’avant ! Je suis plus pudique qu’avant.

C.A.-L. : Luc Picard nous a aussi glissé un mot sur son rôle de pianiste dans le film, alors qu’il n’est pas musicien dans la vie de tous les jours.

L.P. : C’était très très intimidant. J’ai suivi des cours de piano pendant quelques mois, pas pour apprendre à jouer parce qu’il n’y a personne qui peut devenir pianiste classique en l’espace de quelques mois, mais pour apprendre le positionnement. J’ai donc travaillé avec des musiciens. J’ai eu l’aide de Natalie [Natalie Choquette est conseillère musicale pour le film], de Raphaël [le réalisateur]. Mais j’étais très intimidé. Au départ, je suis intimidé par les gens qui maîtrisent un instrument de musique. Quelqu’un prend une guitare et se met à jouer et il y a de la musique, c’est intimidant. Mon fils joue et il m’intimide… Pour vrai! Donc, je me sentais vraiment un imposteur. C’est ça mon métier : être un imposteur, mais être un imposteur sincère.

En bref, Mobile étoile, coproduit par la France et le Québec, vient de prendre l’affiche au Clap. Quant à Luc Picard, on peut aussi le voir en shylock crapuleux dans le nouveau film du réalisateur Louis Bélanger intitulé Les Mauvaises Herbes.

Bons baisers de Bellechasse

 

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En septembre dernier, au Festival de cinéma de la ville de Québec, le documentaire La Démolition familiale obtenait deux prix, celui du jury cinéphiles (pour le meilleur premier long métrage) et celui du public (pour le meilleur long métrage de la programmation). Il n’en fallait pas plus pour éveiller la curiosité des cinéphiles autour de ce documentaire, le tout premier à être tourné dans Bellechasse, un long métrage portant sur les derbys de démolition automobile qui ont lieu près du patelin d’origine de son réalisateur, Patrick Damien, aujourd’hui Montréalais d’adoption.

Si la mécanique et les autos qui s’emboutissent sont au cœur de ce film, l’aspect humain y est tout aussi important puisqu’on observe avec intérêt la passion qu’entretiennent pour ce sport inusité, voire extrême, Christopher et Marika, deux jeunes initiés au derby par divers membres de leur famille respective. D’une génération à l’autre, ils cultivent tous une véritable fascination pour la transformation des bolides pour ensuite mieux se lancer dans l’arène afin d’y vivre des émotions fortes. En entrevue, Patrick Damien est à la fois enthousiaste et fébrile en prévision de la sortie de son film au Clap et à Lévis. Pour l’anecdote, il rappelle que voilà vingt ans, à l’automne 1996, il se retrouvait également dans le magazine du cinéma de la Pyramide avec un DÉMOL-CHRISTOPHER-char-Lazcourt métrage qu’il avait réalisé et présenté dans le cadre du concours Vidéastes recherché(e)s, un documentaire amateur de 30 minutes ayant pour titre Les Derniers Démons d’Armagh. Il y abordait déjà le sujet des derbys avec David, un personnage toujours présent dans La Démolition familiale. En 2010, le cinéaste sentait que ce sujet-là, s’apparentant à la boxe, aussi coloré que rempli d’action, ferait un fort beau sujet de long métrage. C’était, de plus, l’occasion idéale pour redonner la parole aux gens de son coin, dira-t-il.

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Patrick Damien, réalisateur

Réparti sur quatre ans, le tournage de La Démolition familiale n’a pas été simple. Si le défi d’origine était de rendre palpitante au grand écran la compétition automobile (merci à la technologie des caméras Go Pro), Patrick tenait aussi à ce que son film ne porte pas uniquement sur la démolition de carcasses cylindrés, mais aussi sur des personnages qui font penser à tous ceux qui ont marqué l’imaginaire du documentaire québécois. Dans son film de voitures et d’hommes, l’un sert aussi bien l’autre. « Dès le début, je savais que je tenais un sujet fort, une matière qui allait faire un film. Mais là où ç’a changé, et pour le mieux, c’est le fait d’avoir suivi des jeunes qui prennent la relève, qui font leur première course, c’est un plus pour le documentaire. Ça devient intergénérationnel. Ils sont tous drôles et attachants », de préciser Patrick Damien.

On ne le se cachera pas, des courses de démolition, ça peut faire « fond de rang ». Pourtant tout au long du documentaire, jamais on ne sentira un seul regard porté de haut envers ce hobby destructeur, le cinéaste sachant très bien que la relation au moteur est tellement différente en région. « C’est comme un rodéo, ce sont des gens qui veulent leur dose d’adrénaline, surtout les jeunes garçons. Mais il y a une mentalité culturelle, familiale, si particulière à la campagne, ça ne s’explique pas d’une seule façon. Si tu vis dans un petit village, tout ton rapport au moteur, celui de ton tracteur ou de ton char, tout ça est différent. Ce n’est pas pour combler un vide cet intérêt-là. Faut pas oublier non plus qu’il y a beaucoup de stratégie dans la course de démolition, comme pour la boxe. On peut même y voir les derniers moments de vie de la carrosserie avant qu’elle ne devienne un grille-pain en Chine », d’ajouter le documentariste, content de voir qu’il touche le cœur des gens avec son film. Sûrement qu’on entendra rapidement reparler de Patrick Damien, comme réalisateur de fiction ou de documentaire, lui qui travaille actuellement à un projet de film autour de l’œuvre et de la vision de Denys Arcand. La Démolition familiale à l’affiche à Québec dès le 25 mars.

Un taxi pour deux !

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Montréal la blanche, c’est le titre du premier long métrage de fiction de Bachir Bensaddek. Le film prend l’affiche à Montréal et Québec le 18 mars. Le réalisateur de nationalité algérienne, à l’origine de plusieurs documentaires, était en visite à Québec cette semaine pour nous parler de sa fiction, tournée en plein hiver, la nuit, dans le grand Montréal alors qu’il faisait 25 sous zéro.

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Bachir Bensaddek, réalisateur

Attablé devant un thé, Bachir ouvre la conversation en relatant avec amusement une anecdote sur son prénom qui a inspiré celui du personnage de Monsieur Lazhar créé par Évelyne de la Chenelière pour sa pièce puis transposé au cinéma par Philippe Falardeau avec le succès que l’on connaît. À travers les multiples détails reliés à Montréal la blanche, Bachir Bensaddek souligne sa grande passion cinéphilique et son amour du cinéma québécois, surtout pour l’entière filmographie de Gilles Carle. Il ajoute : « Mes inspirations pour mon film, c’était un conte de Noël de Dickens et La Vie heureuse de Léopold Z de Gilles Carle pour sa façon de montrer l’hiver en ville. D’ailleurs, on ne parle pas assez de ses films. Carle, c’est un immense cinéaste, on n’a qu’à penser à Red, La Mort d’un bûcheron, La Tête de Normande St-Onge. La présence des musiciens dans le film, elle, vient de Lisbon Story de Wim Wenders, dans lequel il avait filmé le groupe Madredeus », de préciser le cinéaste.

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Rabat Aït Ouyahia

Voilà pour l’inspiration. Mais il faut aussi ajouter que Montréal la blanche, c’est avant tout une pièce de théâtre, la sienne, qui a déjà été jouée au Monument national. Pour sa version filmique, le cinéaste s’est préparé en s’installant dans un taxi durant le temps des fêtes pour apprécier l’atmosphère, côtoyant durant une soirée des gens éméchés qui reviennent de leurs partys de bureau. Pour transposer l’univers théâtral de sa pièce, il a aussi réduit le nombre de personnages, focalisant sur un axe dramatique qui allait mettre à l’avant-scène ses deux personnages principaux, tous deux exilés de l’Algérie, mais vivant au Québec des situations fort différentes. L’un, Amokrane est chauffeur de taxi;  l’autre, Kahina, est une ex-chanteuse pop, mère de famille, qui traverse une séparation conjugale douloureuse.

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Karina Aktouf

Montréal la blanche se déroule presque exclusivement dans le taxi conduit par Amokrane, nous laissant entrevoir une métropole enneigée comme toile de fond afin de laisser toute la place à des dialogues qui sonnent vrais et qui résument autant les parcours personnels très différents des deux protagonistes que le déracinement de ces âmes immigrantes d’origine algérienne. Quand on lui demande où il a trouvé ses acteurs principaux, Bachir, les yeux pétillants, nous résume ainsi ses trouvailles : « Mes deux comédiens n’étaient pas dans la pièce. J’avais besoin pour le film d’une actrice qui parle arabe et la seule au Québec qui pouvait le faire, c’était Karina Aktouf qui avait joué dans Jasmine à l’époque à la télé. Elle est inspirante et cinématographiquement tellement belle. Rabat Aït Ouyahia, lui, a travaillé sur un autre de mes films. Il a fait du rap, il a aussi joué dans L’Ange de goudron de Denis Chouinard et il avait le physique de l’emploi et la voix qui correspondait exactement à ce que je recherchais pour le rôle du chauffeur de taxi. Son visage parle de lui-même, il n’a pas besoin de parler ». Bachir Bensaddek a eu du pif, car ses deux acteurs sont tout à fait formidables. Sa direction est impeccable et elle contribue grandement à la crédibilité du récit qu’il met en scène.

On ne se la cachera pas, Montréal la blanche pourrait davantage connaître de succès à l’étranger. Même si l’hiver québécois sert de décor au film, l’histoire touchera sûrement davantage les expatriés algériens qui résident en France et l’ensemble des Maghrébins devenus Européens. D’ailleurs, l’accueil dans les différents festivals outre-Atlantique a été jusqu’ici très favorable. On ne peut que souhaiter à Bachir Bensaddek le même accueil pour sa sortie locale, lui qui, en conclusion de cet entretien, souligne être plus qu’heureux de l’ensemble de son long métrage et fier d’avoir réussi à faire vivre ses personnages. « Ils reflètent le drame que je voulais raconter, cette difficulté qu’ils ont à affronter la réalité ». Des personnages qui font de Montréal la blanche  une œuvre fort singulière dans le paysage du cinéma québécois.

Les 10 films de mars 2016

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Les Mauvaises Herbes de Louis Bélanger

Le mois de mars sera particulièrement intéressant du côté des sorties en salle. De nombreux réalisateurs de renom lanceront leurs plus récentes œuvres. Ainsi, nous aurons droit à Cemetary of Splendour d’Apichatpong Weerasethakul, The Program de Stephen Frears (sur la vie du cycliste Lance Armstrong) et A Second Chance de la Danoise Susanne Bier. Et ce, sans compter le 3e volet de la série Divergence et du biopic sur le jazzman Chet Baker, Born to Be Blue. Bref, voici ma liste des dix films à voir dans le courant du mois de mars.

Boris sans Béatrice : Présenté récemment à la Berlinale, Boris sans Béatrice est la plus récente création de Denis Coté (Vic et Flo ont vu un ours). Donc, il faut systématiquement vous attendre à une œuvre atypique. Ce drame sur un homme arrogant et volage, forcé d’entamer une rédemption auprès de ses proches, est porté par un James Hyndman qui crève l’écran. De sa haute stature, l’acteur s’impose comme le rôle de cet être aussi charismatique que détestable. Sortie prévue le 4 mars.

Les Mauvaises Herbes :  Après six ans d’absence, ce film marque le retour  de Louis Bélanger à la fiction sur grand écran, retour qui prend la forme d’un comédie dramatique rurale portant sur l’amitié improbable reliant un cultivateur de cannabis, un acteur de théâtre et une releveur de compteurs d’Hydro. Dans cette aventure, Alexis Martin et Gilles Renaud s’amusent rondement. Sortie prévue le 11 mars.

10 Cloverfield Lane  : Produit par J.J. Abrams et proposant un titre référencé, cette fiction raconte la tentative d’évasion d’une jeune femme séquestrée dans une cave profonde, gardée en li3Ya9Rucaptivité par un ravisseur survivaliste qui affirme avoir voulu la protéger du monde extérieur détruit par une attaque nucléaire. Un thriller doté d’une bande-annonce des plus captivantes. Sortie prévue le 11 mars.

L’Hermine : Fabrice Luchini joue un président de cour d’assises, grognon et grippé, qui retrouve parmi les nouveaux jurés une femme qu’il a autrefois beaucoup aimée. Un long métrage bien scénarisé, bien réalisé et surtout bien interprété par Luchini et la lumineuse Danoise Sidse Babett Knudsen. Sortie prévue le 11 mars.

The Brothers Grimsby : Comédie d’espionnage, ce film vaudra le détour si Sasha Baron Cohen nous livre une performance aussi éclatée que dans Borat et The Dictator. Ici, c’est en hooligan qu’il se métamorphose, faisant équipe avec son frère, un redoutable espion et tueur à gages. Sortie prévue le 18 mars.

Knight of Cups : Le tout nouveau Terrence Malick intrigue. Christian Bale, Cate Blanchett et Natalie Portman sont de la distribution de cette réalisation dont le résumé nous parle de la vie d’un prince et dont la bande-annonce ne nous révèle rien sinon des images qui, comme toujours chez Malick, sont d’une grande beauté. Sortie prévue le 18 mars.

–  Midnight Spécial : Jeff Nichols (Mud, Take Shelter) est de retour avec son acteur fétiche, Michael Shannon, pour nous offrir une étrange poursuite à travers l’Amérique, celle impliquant un couple en fuite avec leur enfant doté de pouvoirs surnaturels. Le gouvernement fédéral et des fanatiques religieux sont à leurs trousses. Sortie prévue le 18 mars

Batman vs Superman : l’aube de la justice : Que dire de plus sur ce film qui met la table pour de nombreuses suites dont Justice League, le pendant pour DC des Avengers pour Marvel, saga qui regroupera Superman, Batman, Wonder Woman, Aquaman, Green Lanthern et Flash? Sortie prévue le 25 mars

Le Rang du lion : Première réalisation fort réussie pour le Québécois Stéphan Beaudoin, ce long rang-du-lion-311x460métrage met en scène de jeunes adultes regroupés autour d’un gourou dans une maison de campagne en Montérégie. L’arrivée d’Alex, l’amoureux de Jade, une des membres de ce petit groupe vivant en autarcie, bouleversera la dynamique mise en place par le maître à penser des lieux, un ex-prof de cégep dogmatique.  Sortie prévue le 25 mars

The Lobster : Cette comédie d’anticipation du Grec Yorgos Lanthimos, auteur de Canine, met en vedette Colin Farrell dans le rôle d’un homme nouvellement célibataire, qui doit selon les règles sociales établies par les autorités de ce monde futuriste, trouver l’âme sœur dans les 45 prochains jours, sinon il sera transformé en animal de son choix, soit un homard. On ne saurait passer à côté d’un tel scénario!  Sortie prévue le 25 mars.

Des prix qui ne font pas relâche

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La saison des remises de prix s’achève puisqu’il ne reste qu’à surveiller la tenue de la 18e soirée des Jutra ou plutôt celle du bien nommé Gala du cinéma québécois qui aura lieu le 18 mars prochain. En fin de semaine, nous avons eu droit aux César, aux Oscars et aux Razzies. Dans ce dernier cas, c’est Fifty Shades of Grey qui a tout remporté dans les catégories du pire film (ex aequo avec les Fantastic Four), pire comédien et pire comédienne. Dans un registre plus sérieux, du côté des César, Fatima s’est démarqué en remportant celui du meilleur film français. Rappelons que ce film, présenté récemment au Clap, est une coproduction québécoise. Vincent Lindon (La Loi du marché) et Fatima-afficheCatherine Frot (Marguerite) ont été élus meilleur acteur et meilleure actrice (pour deux œuvre inédites au Québec). Pour son fort joli rôle secondaire dans L’Hermine, aux côtés de Fabrice Luchini (beau film que vous pourrez voir en mars au Clap), Sidse Babett Knudsen a été consacrée, et Mélanie Laurent et Cyril Dion ont vu leur long métrage, portant sur l’avenir de la planète et intitulé Demain, recevoir le César du meilleur documentaire, film qui semble similaire dans son approche à En quête de sens, récemment sorti en salle à la pyramide.

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Leonardo DiCaprio dans This Boy’s Life (1993)

Aux Oscars, Mad Max est pour moi le grand gagnant avec ses six statuettes récoltées pour sa belle direction technique et artistique. Et même si le film comme tel, et son réalisateur, repartent bredouilles, le cinéma étant un art d’équipe, on ne peut que souligner la réussite d’ensemble de Mad Max comme film de genre rassembleur. Spotlight, lui, a battu sur le fil d’arrivée The Revenant, mais avait l’air, de par les extraits montrés, d’un téléfilm face aux images stupéfiantes du long métrage d’Inárritu. Cela dit, Spotlight est un fort bon film, son prix est amplement mérité. La soirée des Oscars fut longue (3 h 30) et plutôt ennuyeuse cette année malgré une introduction réussie de la part de l’animateur Chris Rock. Ses nombreuses blagues autour du débat sur la faible représentation des Afro-Américains parmi les nommés a fini par s’essouffler. On s’ennuyait de Billy Crystal. Le Fils de Saul n’a pas volé son Oscar comme meilleur film en langue étrangère et les victoires de Leonardo DiCaprio (y allant d’un discours écolo bien senti), Brie Larson, Alicia Vikander étaient attendues. Seule celle de Mark Rylance (formidable en soutien dans Bridge of Spies) au dépens de Stallone a réellement surpris tout le monde. On peut aussi saluer la remise de l’Oscar pour les meilleurs effets spéciaux à Ex Machina (très beau film de science-fiction) qui faisait face notamment à la machine de Star Wars VII. Au final et fort heureusement, Ennio Morricone a été récompensé pour son travail de compositeur de musiques de film pour The Hateful Eight, alors qu’à l’inverse, on ne comprend toujours pas que la chanson thème du dernier James Bond (l’une des pires de l’histoire de la série) ait pu battre celle de Youth.

En terminant, un petit mot pour vous rappeler que le Festival de cinéma en famille de Québec se poursuit jusqu’à dimanche dans plusieurs lieux de Québec. Au menu, des films, mais aussi de nombreuses activités ludiques pour toute la famille reliées au cinéma et à sa réalisation (www.fceq.ca).

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L’affaire Jutra, une fois la poussière retombée

vlcsnap722649 La récente publication de la biographie du réalisateur Claude Jutra a fait grand bruit. Bien avant que le scandale n’éclate, j’étais au courant de la future parution du livre chez Boréal et j’entendais en faire un sujet de texte à paraître sur ce blogue. La Presse, plus rapidement que moi, a pris rendez-vous avec l’auteur de la biographie, Yves Lever, et a sorti LA nouvelle, issue d’un chapitre du livre, comme quoi le réalisateur décédé avait de forts penchants pédophiles. Mon rendez-vous téléphonique avec Yves Lever étant prévu près de dix jours après la divulgation des informations dans La Presse, je me suis réjoui finalement à l’idée qu’une fois la poussière retombée, mon entrevue avec l’auteur allait bénéficier d’un certain recul sur cette histoire à scandale et sur une œuvre qui ne sera hélas plus jamais vue de la même façon. Voici le résumé de mon entrevue avec l’auteur de cette biographie, Yves Lever, enseignant à la retraite et spécialiste du cinéma québécois.

Pierre Blais : Yves Lever, pourquoi avoir choisi d’écrire une biographie de Claude Jutra alors qu’en introduction, vous confirmez n’avoir jamais été un admirateur inconditionnel du réalisateur et de ses films?

Yves Lever : Effectivement. J’ai présenté durant des années, dans mes cours au cégep (Ahuntsic), des extraits des films de Jutra, Félix Leclerc, troubadour ou Mon oncle Antoine. Y a de grands moments de cinéma dans Mon oncle Antoine et d’autres moins bien réussis, selon moi. Je n’ai jamais dit du mal de Jutra, mais je soulignais en classe qu’il n’était pas le plus grand cinéaste québécois. Mais Jutra, et c’est là qu’il devient intéressant, est possiblement le plus mythique de tous nos réalisateurs. Un peu 160211_jl35y_aetd-claude-jutra_p5comme Gilles Groulx, mais Jutra, c’est encore plus grand comme mythe. Et il n’y avait aucune bio de Jutra, j’ai donc voulu explorer ce mythe. Je voulais écrire un livre que j’aimerais lire, que j’aimerais découvrir. J’ai fait plus de 30 entrevues avec ses proches, comme Pierre Patry, un peu avant sa mort, et je me suis aperçu que Jutra était unique, d’où la naissance d’un mythe. Dès ses débuts dans le métier, il imposait des exigences dans son milieu de travail, ce que personne ne pouvait faire à part lui. En plus, il était une source d’inspiration pour tout le monde. Il poussait les gens à aller au-delà de leurs limites. Il était disponible pour tous. Il demandait des avis et donnait le sien sur tout. Dès 1962, sa renommée était établie. Ce mythomane, toujours en représentation, est devenu célèbre avant d’avoir une œuvre. Il jouait constamment des rôles, mais il avait aussi une opacité, et dans ma biographie, mon intention était de percer un peu de cette opacité.

P.B. : L’écriture de cette biographie a eu quel effet sur votre façon de voir ses films? Êtes-vous à même d’apprécier davantage ses créations qu’auparavant ou bien, au contraire, vous avez tendance à être davantage critique?

Y.L. : J’ai vécu collé sur l’œuvre de Jutra durant plus de deux ans. C’est très contradictoire ce qu’on ressent. On apprend tellement de choses, je me réfère entre autres à l’absence de ses films des différentes sélections à Cannes. Il a vécu très difficilement les rejets cannois d’À tout prendre et de Kamouraska. Puis, à travers toute la recherche, on tombe sur les témoignages entourant sa sexualité et ça nous frappe. On connaissait l’amour de Claude pour les garçons, mais pas pour les enfants. C’est toujours secret ces choses-là, même ses proches ne s’en rendaient pas compte.

P.B. : En anglais, y a une expression qui dit : Damned if you do, damned if you don’t. J’ai l’impression que c’est exactement ce qui s’applique à vous, ou du moins à l’écriture du chapitre de votre livre qui porte sur  la sexualité -1déviante de Jutra. Vous saviez qu’en relatant tout ça, plusieurs seraient outrés et que si, au contraire, vous omettiez d’en parler, on aurait pu facilement dire que vous occultiez son penchant pour les jeunes garçons, non ?

Y.L. : Oui, effectivement. Ça a été difficile, très difficile. Les gens me parlaient de tout ça sous le sceau de la confidentialité. J’ai eu plusieurs témoignages, j’avais plusieurs sources qui me confirmaient le tout, mais j’avoue, j’ai peut-être été un peu maladroit dans ma façon de résumer tout ça dans le livre.

P.B. : Verra-t-on inévitablement  les films de Jutra différemment à l’avenir?

Y.L. : Si on regarde à nouveau le film Dreamspeaker de Jutra, que presque personne n’a vu au Québec, un long métrage tourné en 1976 lors de sa période torontoise, il y a une scène ou l’assistant du chaman se baigne dans une lagune avec un petit garçon, ils batifolent ensemble. C’est une scène pédophilique typique. Ça met mal à l’aise, surtout qu’elle ne sert en rien le scénario. Et là, sachant que c’est un film signé par Jutra, c’est là que notre regard diffère. Cela dit, son œuvre est riche, et elle le demeurera à jamais. Mon oncle Antoine est un film avec des scènes magnifiques et d’autres qui agacent beaucoup, mais il a marqué notre cinéma, on s’est reconnu là-dedans. À tout prendre, lui, est un film qu’on doit revoir notamment pour l’humour, c’est le film de Jutra qui vieillit le mieux. À tout prendre, c’est de l’audace, de la spontanéité, un gros égoportrait, Claude a tout mis dans ce film, toute sa personnalité. Si on songe à cause de sa sexualité à camoufler son œuvre, je serai le premier à prendre la parole pour dénoncer cette idée.

P.B. : Vous attendiez-vous à un tel tsunami autour de votre biographie?

Y.L. : Oui, on s’attendait tous à l’effet d’une petite bombe, mais pas d’une bombe atomique…

P.B. : Avez-vous un prochain projet d’écriture lié au cinéma actuellement?

Y.L. Oui, absolument. Je vais me remettre très bientôt sur un projet qui me tient à cœur, un dictionnaire des personnages du cinéma québécois. Mon livre portera, par exemple, sur les plus beaux personnages de juges, pensons à Michel Chartrand en juge dans Deux femmes en or, ou encore de curés, de policiers. La tempête s’étant calmée, je vais me remettre là-dessus dans les prochains jours.

Le nom de famille de Claude Jutra, comme relaté dans la biographie, s’écrivait bien évidemment avec un « s » à la fin. Mais, à partir de 1956, le « s » disparaît. Jutra, avec humour, justifia ce changement ainsi : « Pourquoi un « s », car il n’y a qu’un Claude Jutra. » Longtemps, on pleura la disparition de Claude Jutra, l’unique et talentueux cinéaste. Aujourd’hui, on voit en lui un être au pluriel, l’artiste et le déviant, une sorte de scénario idéal pour du cinéma vérité, celui qui étincelle et qui brûle douloureusement.

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Michel Brault et Claude Jutra, 1959

 

 

 

 

 

Les Rendez-vous dans votre salon

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À l’heure où Québec Cinéma fait face à la tempête médiatique et annonce que le nom de son gala et de ses prix (Jutra) seront changés à la suite de la controverse entourant les penchants du défunt cinéaste Claude Jutra, mis en lumière dans la biographie écrite par Yves Lever,  l’organisme s’apprête à inaugurer demain (jeudi) l’édition 2016 des Rendez-vous du cinéma québécois.

L’événement se déroulera du 18 au 27 février. La programmation est comme à l’habitude constituée d’une rétrospective des films québécois lancés en salle lors de la dernière année et d’une pléthore de tables rondes, de conférences, de débats autour de notre cinéma et de ses enjeux, mais aussi beaucoup sur la création et sur la façon dont les artisans du 7e art d’ici exercent leur métier.

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Pascale Bussières, porte-parole du RVCQ 2016.

Depuis de nombreuses années, pour de multiples raisons (volonté, financement, encadrement), les Rendez-vous ne s’arrêtaient plus à Québec. Mais, encore cette année, les organisateurs ont eu la brillante idée d’offrir la possibilité d’assister virtuellement, grâce à Internet et au streaming (Web diffusion en continu), à de nombreux événements présentés dans le cadre des Rendez-vous. Nommé Festival 4 écrans, ce projet qui en est à sa troisième édition, permettra d’assister dans notre salon, grâce à cette Web diffusion, aux leçons de cinéma offertes par les créateurs de Série noire, Jean-François Rivard et François Létourneau (samedi 20 février, 21 h), à celle du réalisateur d’Endorphine André Turpin  (lundi 22 février, 14 h), et à celle de l’actrice et porte-parole des Rendez-vous, Pascale Bussières (vendredi 26 février, 19 h 30). Une rencontre autour du prochain film réalisé par Anne Émond consacré à Nelly Arcan serai aussi retransmise (vendredi 26 février 17 h), tout comme celle avec André Forcier concernant son plus récent long métrage qui sortira dans les prochains mois, une fiction ayant pour titre Embrasse-moi comme tu m’aimes (mercredi 24 février, 17 h).

De nombreux longs métrages pourront aussi être visionnés grâce à cette initiative qui se déploie sur quatre plateformes possibles, le web, la télé, les tablettes, les téléphones intelligents et les appareils mobiles. De plus, pour marquer cette volonté de sortir de l’île de Montréal, soulignons la boris_sans_beatrice_610616166~420présentation en simultanée jeudi soir, à Montréal, à Sherbrooke et à Québec (au Clap), du film d’ouverture des Rendez-vous, Boris sans Béatrice de Denis Côté, œuvre atypique qui vient d’être vue voilà quelques jours à peine en première mondiale, en compétition, à la Berlinale.

Pour connaître la programmation complète des Web diffusions, se brancher lors de leurs présentations et avoir davantage de détails sur l’ensemble de la programmation des Rendez-vous du cinéma québécois, je vous invite à consulter le site Internet officiel de l’événement au http://rvcq.quebeccinema.ca.