Trumbo, un scénario de peur !

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Bonne nouvelle, le film Trumbo sera à l’affiche vendredi! Durant plusieurs semaines, on s’est pourtant demandé si le long métrage allait être distribué à Québec ou bien ne sortir qu’en version originale anglaise à Montréal. Heureusement, cette biographie romancée se rendra dans nos salles et en plus, elle s’avère une production de fort calibre.

Trumbo relate la vie de Dalton Trumbo, l’un des plus brillants scénaristes d’Hollywood qui, après la Seconde Guerre mondiale, sera mis sur la célèbre liste noire établie par la politique du maccarthysme visant à ostraciser tous les sympathisants communistes sur le territoire américain. Reconnu coupable d’outrage face à la commission d’enquête, TRUMBO-Movie-PosterTrumbo sera incarcéré durant onze mois puis, pour réussir à faire vivre sa famille, il poursuivra une carrière clandestine de scénariste, signant de nombreux films oscarisés sous divers pseudonymes. Son calvaire prendra fin lorsque Kirk Douglas (Spartacus) et Otto Preminger (Exodus) l’inscriront sous son vrai nom aux génériques de leurs films à la fin des années 50.

Bien que conventionnel dans sa structure dramatique et biographique, Trumbo est habilement mis en scène par Jay Roach, un cinéaste associé depuis ses débuts aux séries de comédies loufoques (Austin Powers, Meet the Parents). Le propos du long métrage, quoique déjà abordé dans plusieurs œuvres auparavant (Good Night, and Good Luck, The Front, Guilty by Suspicion), est encore aujourd’hui bouleversant. La mise en place de cette chasse aux sorcières grotesque donne toujours aussi froid dans le dos. Et au-delà de la question politique, le récit explore fort heureusement les zones d’ombre d’un scénariste d’allégeance communiste certes, mais également narcissique et adepte d’un train de vie bourgeois californien.

Trumbo se retrouvera assurément et avec raison aux Oscars. La réalisation est soignée, le scénario des plus efficaces et surtout, Bryan Cranston, mieux connu pour sa performance imagesdans la série télé Breaking Bad, y trouve son plus beau rôle au grand écran. De la première à la dernière scène, Cranston éblouit par sa justesse de ton, alternant entre un humanisme profond et un égocentrisme évident. L’acteur est de plus fort bien entouré par Helen Mirren, Diane Lane, John Goodman, Louis C.K. et autres comédiens incarnant des gloires de l’époque comme John Wayne, Kirk Douglas ou Edward G. Robinson.

L’absence de super-héros dans le film nous incite à prédire que Trumbo ne cartonnera pas au box-office comme il le mériterait. Mais blague à part, il faut souhaiter que cette œuvre trouve son public, car des héros dans Trumbo il y en a. Ce sont des hommes qui ont été pointés du doigt, espionnés, dont la vie privée a été bafouée par les autorités de l’époque. De plus, un régime de peur s’est acharné à salir leur réputation. Des hommes et des femmes qui se sont battus pour la liberté de penser dans un monde pas si lointain du nôtre. Bref, il ne faut pas avoir peur d’aller voir Trumbo!

Petit hommage à la pyramide du cinéma

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Le Clap célèbre en novembre son 30e anniversaire. Le plus récent magazine le souligne bien avec sa couverture glacée et un article que j’ai eu à signer sur cet anniversaire qu’il ne faut pas passer sous silence. À Québec, Le Clap est devenu rapidement une institution, un incontournable. Sa disparition serait une catastrophe pour tous ceux qui apprécient la diversité cinématographique, pour ceux qui aiment voyager à travers le monde dans le confort d’une salle obscure dédiée au 7e art. Depuis trois décennies, c’est à cet endroit qu’on a suivi la carrière de Depardieu et Huppert, admiré les films de Wenders, d’Almodóvar, de von Trier, découvert Tarantino, Ang Lee et Poelvoorde, vu Incendies de Denis Villeneuve et J’ai tué ma mère de Dolan.

Le texte sur ce 30e, paru dans le magazine de novembre/décembre, donne la parole à celui qui a lancé Le Clap, Michel Aubé, et à Richard Gouge, projectionniste depuis son ouverture. J’avais envie aujourd’hui, via le blogue, d’ajouter quelques mots à ceux que ces deux passionnés de cinéma  m’ont confiés. Une réflexion personnelle me poussant à ste-foy_innovation_2012_06_01affirmer que le Cinéma Le Clap, avec ses sept salles, joue également un rôle éducatif essentiel dans la région. Par sa programmation, riche et internationale, il offre aux différentes générations les points de vue de cinéastes provenant de tous les continents. Il nous permet de mieux connaître les sociétés actuelles d’Europe, d’Asie, d’Afrique ou d’Amérique latine. Et à l’heure où des voix se font entendre sur certaines tribunes médiatiques, réclamant des actions qui relèvent d’une sorte de repli identitaire face à ce qui se passe ailleurs sur la planète, Le Clap, lui, par sa mission, fait preuve d’une formidable ouverture sur le monde, et ce, je le rappelle, depuis 30 ans.

C’est dans ces petites salles, au fil des années, que j’ai vu des films allemands, sud-coréens, mexicains, égyptiens, iraniens et grecs. Situé depuis son ouverture dans le sous-sol d’une drôle de pyramide, Le Clap a indéniablement une importance culturelle « pharaonique » dans notre façon de voir le monde. À nous, amoureux du cinéma, de continuer à nous y rendre pour au moins 30 autres années, afin de conserver ce regard curieux sur l’univers qui nous entoure.

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Floride, état tragicomique.

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Le cinéaste Philippe Le Guay s’est fait connaître avec plusieurs films qui mettaient en vedette Fabrice Luchini, dont Les Femmes du 6e étage et Molière à bicyclette. Âgé de 59 ans, le réalisateur français était de passage au Québec cette semaine pour faire la promotion de son huitième long métrage intitulé Floride et qui prendra l’affiche à la fin du mois.

Tiré de la pièce de théâtre Le Père écrite par le romancier Florian Zeller, Floride raconte les aventures de Claude, un octogénaire qui n’a qu’une obsession, soit celle d’aller rejoindre sa fille cadette, exilée depuis des années en Floride. Carole, l’aînée, doit alors intervenir par crainte que le pire ne survienne pour son père, lui pour qui les pertes de mémoire sont de plus en plus graves et prononcées. Le grand Jean Rochefort incarne Claude aux côtés de Sandrine Kiberlain qui prend ici les traits de sa fille Carole.

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Philippe Le Guay et Jean Rochefort

En entrevue, Philippe Le Guay confirme avoir beaucoup aimé la pièce de Zeller : « Ce que j’aimais, c’est la situation d’un homme qui perd la mémoire et qui n’arrive pas à dire à sa fille qu’il l’aime. J’ai deux sœurs et j’ai été témoin de l’absence et de l’attente de reconnaissance paternelle, le malentendu que cela provoque des deux côtés, ça m’a toujours ému. Le personnage de Claude, c’est un homme dans le déni qui se réfugie dans cette panne de mémoire, car c’est une situation qui l’arrange. Ainsi, on prend plaisir aussi à le détester, car il est enfantin, impérieux, excessif dans ses humeurs. Il est aussi fragile que terrifiant de mauvaise foi. Jean est formidable dans ce rôle, Sandrine et lui se connaissaient très bien et avaient envie de travailler ensemble, alors le film s’est construit là-dessus ». Pour Philippe Le Guay, le plus difficile dans ce projet a été d’arriver à un équilibre dans le ton, ne pas tomber dans le pathos ou le mélodrame, avoir une tonalité juste et précise alternant les moments drôles et ceux plus touchants.

Si le réalisateur est d’accord pour dire que le filon de la vieillesse est davantage exploré depuis quelques années au cinéma (Away from her, Et si on vivait tous ensemble?), l’aspect portant sur la proximité d’une fille avec son père, lui, se voit beaucoup plus rarement et il en est fier. « Au-delà de cette relation père-fille, ce que j’aime le plus de mon film, c’est le mélange des genres, l’humour qui côtoie le drame à tout moment, ça me correspond énormément. J’aime mélanger les tons, c’est ce qui me guide au cinéma, davantage que les histoires en fait », de conclure Philippe Le Guay qui bosse actuellement sur un scénario original qui devrait prendre vie au grand écran au courant de l’année 2016.

Bande annonce de Floride :

Les 10 films à voir en novembre

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Love, réalisé par Gaspar Noé

Oui, en novembre, il y aura le nouvel épisode des aventures de James Bond, l’intrigant biopic Trumbo avec Bryan Cranston, la version animée de La Guerre des tuques et la conclusion de Hunger Games, mais au-delà de ces quatre fort attendus longs métrages, voici les dix autres films qui, selon moi, méritent notre attention lors du mois des morts de 2015. Il faut aussi noter que deux de ces films, Room et The Secret in their Eyes, ont vu leurs dates de sorties initiales reportées en novembre.

1-Love : Les films de Gaspar Noé ne laissent personne indifférent. Après nous avoir offert Seul contre tous, Irréversible et Enter the Void, le cinéaste français d’origine argentine, avec Love, nous plonge cette fois-ci au coeur d’une relation amoureuse sulfureuse condamnée à mal se terminer. Avec en bonus un érotisme cru filmé en 3D. Date de sortie prévue : 27 novembre.

2-The 33 : Coproduit par le Chili, ce film américain relate les 69 jours passés par 33 mineurs chiliens, emprisonnés sous terre, à 700 mètres de profondeur lors de l’été 2010. Cette histoire surréel nous montre la ténacité de ces travailleurs et le branle-bas the-33-int-poster1-600x888de combat mis en place pour les secourir. Antonio Banderas et Juliette Binoche sont au coeur de cette distribution internationale. Date de sortie prévue : 13 novembre

3-Carol : Portrait d’un amour saphique passionné et interdit campé dans la prude Amérique des années 50, Carol offre des rôles en or à Rooney Mara et Cate Blanchett. D’ailleurs, cette dernière ne cesse d’accumuler les rôles de composition où elle excelle bien évidemment. Et avec Todd Haynes (I’m not There, Mildred Pierce) aux commandes, on peut déjà prévoir pour ce fil, son lot de nominations aux Oscars. Date de sortie prévue : 20 novembre.

4-Legend : Legend, c’est l’histoire des frères jumeaux Kray, deux gangsters ayant sévi dans l’Angleterre des années 50 et 60, incarnés dans le film par un seul et unique legend-postercomédien, à savoir l’imperturbable caméléon Tom Hardy.  Aux commandes de ce polar biographique noir et sanglant, le réalisateur-scénariste Brian Helgeland, oscarisé pour l’adaptation cinématographique de L.A. Confidentiel de James Ellroy. Date de sortie prévue : 27 novembre.

5-Les Êtres chers : Alors qu’elle vient tout juste de terminer le tournage de son troisième long métrage inspiré de la vie de l’auteure Nelly Arcan, Anne Émond (Nuit #1) nous offre Les Êtres chers, un drame psychologique troublant, autour d’une famille blessée par le suicide du patriarche. Maxim Gaudette et Karelle Tremblay y trouvent de fort beaux rôles au coeur d’une histoire qui s’étale sur plus de vingt ans. Date de sortie prévue: 20 novembre.

6-By the Sea : Avec ce long métrage, on a droit à une curiosité. Peu de choses transpirent jusqu’ici de ce drame conjugal mettant en vedette, à la ville comme à l’écran, le couple formé de Brad Pitt et d’Angelina Joli. Réalisé par cette dernière, le film se déroule dans un petit village côtier de France, durant les années 70, alors qu’un écrivain américain et son épouse remettent en question leur vie de couple. La distribution est By_The_Sea_Teasermajoritairement française, Mélanie Laurent et Melvil Poupard étant entre autres de l’aventure. Date de sortie prévue : 13 novembre.

7-Spotlight : Salué partout où il a été projeté, Spotlight montre les dessous de l’enquête menée par des journalistes du Boston Globe concernant des pasteurs qui seront, grâce au travail des scribes, accusés d’agressions sexuelles sur de jeunes enfants. La distribution, oscarisable selon la rumeur, est formée de Michael Keaton, Mark Ruffalo et Rachel McAdams. Date de sortie prévue : 20 novembre.

8-Valley of Love : Depardieu suffoquant sous un soleil de plomb. Depardieu bedonnant, lourd et à bout de souffle. Depardieu qui fume et qui boit. Depardieu retrouvant Isabelle Huppert 35 ans après le Loulou de Pialat, Depardieu vivant à nouveau le décès d’un fils. Valley of Love, c’est tout ça. À fuir, 863425ou à voir absolument pour tout ce que représente Gégé à titre de monstre cinématographique. Sortie prévue : 6 novembre.

9- Secret in their Eyes : Remake hollywoodien du remarquable film argentin Dans ses yeux, ce long métrage est passé sous le radar aux États-Unis malgré la réception de l’Oscar du meilleur film en langue étrangère en 2010. Le scénario original de ce suspense, qui tourne autour de la justice et de la vengeance, est  fort habile et la nouvelle distribution, elle, des plus éclatantes avec entre autres Nicole Kidman, Chiwetel Ejiofor (Twelve Years a Slave), et Julia Roberts. Date de sortie prévue : 20 novembre.

10- Room : Basé sur le best-seller de l’écrivaine Emma Donoghue, qui elle-même s’était inspirée d’un fait divers autrichien, cette coproduction irlando-canadienne se penche sur la vie d’un jeune garçon de cinq ans gardé en captivité dans un cabanon de jardin aux côtés de sa mère. Cette dernière y vit séquestrée depuis son adolescence. Cette réalisation troublante, mettant en vedette Brie Larson, pourrait causer la surprise cette saison et être LE FILM que personne n’attendait. Date de sortie prévue : 6 novembre.

 

 

Les Démons au naturel

 

Démons_© FunFilm Distribution

Les Démons, réalisé par Philippe Lesage.

L’année 2015 nous a offert plusieurs beaux et bons films québécois comme Félix et Meira, L’Amour au temps de la guerre civile et Le Mirage. Parmi la trentaine de productions québécoises, mon préféré prend l’affiche ce vendredi et a pour titre Les Démons. Réalisé par Philippe Lesage, dont le travail est davantage reconnu du côté du documentaire (Ce Coeur qui bat, Laylou), sa première fiction renvoie à l’enfance, période aussi naïve qu’entachée parfois de lubies étranges, de peurs irraisonnées.

Le film est centré autour du personnage de Félix, 10 ans, joué par l’excellent Édouard Tremblay-Grenier (fils de la chanteuse Mara Tremblay et du Chick’n Swell Daniel Grenier). En toile de fond, le film porte sur les amitiés au quotidien des enfants qui l’entourent, amis, frère, soeur, avec en plus des parents qui se déchirent et un supposé prédateur rôdant dans le quartier. Avec Les Démons, Lesage signe un film impressionniste, flirtant encore un peu avec le documentaire. Tel un témoin privilégié, il transpose admirablement à l’écran et ce avec une certaine poésie, toute l’atmosphère parfois étrange qui émane de l’enfance.

En entrevue, le cinéaste avoue avoir écrit son film en se basant sur plusieurs souvenirs vécus dans sa jeunesse tout en essayant de lui donner un fil conducteur fictif. « Le scénario a été fort bien reçu, comme un page-turner. Par la suite, au tournage, je me suis approprié le récit pour en faire quelque chose de plus personnel, sans non plus en faire un véritable thriller. Comme pour mes documentaires, j’ai pu conserver une belle liberté lors du tournage. Avec les acteurs, je voulais qu’ils aient ce demons2sentiment de liberté tout en exigeant d’eux beaucoup de naturel dans leur jeu. Je voulais qu’ils s’expriment comme ils parlent au quotidien. J’ai dirigé le tournage pour atteindre une sorte de véracité, de scène en scène » de souligner le réalisateur qui a fait des études en cinéma au Danemark, à l’époque du Dogme de Lars von Trier et de Thomas Vinterberg.

Les Démons se distingue par son climat parfois angoissant, comme si le récit pouvait basculer à tout moment dans quelque chose de très sombre, le cinéaste se rappelant qu’un maniaque sévissait à Montréal dans les années 80 et qu’il avait une peur bleue à l’idée de le rencontrer ou encore, de voir les fantômes des enfants disparus. « Au-delà de ces peurs,  je voulais que mon film apporte également une réflexion sur les notions d’empathie et d’interdit, voire de cruauté chez un enfant. Ce n’est pas juste de l’innocence, mais un apprentissage face à ses propres démons, avoir conscience de l’autre » de conclure Philippe Lesage qui négocie présentement les droits musicaux de son prochain long métrage, Copenhague A Love Story dont il vient de finir la post-production.

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Vassili Schneider

La distribution des Démons est surtout constituée de jeunes comédiens, tous épatants de naturel. Parmi ceux-ci, Vassili Schneider, qui interprète François, le grand frère de Félix, son premier rôle important au cinéma. Un mois et demi après son audition, Vassili rencontra, par hasard à l’aéroport, Philippe Lesage qui lui confirma qu’il venait d’obtenir le rôle. Si le nom de famille de Vassili sonne une cloche à votre oreille, c’est tout à fait normal car il provient d’une famille assez étonnante de comédiens, l’équivalent des Baldwin au cinéma américain ou des Sutter au hockey canadien. Sa famille, d’origine française, s’est établie au Québec dans les années 90. Son père, provenant du milieu du théâtre, désirait partir pour trois ans à l’étranger. C’est finalement au Québec, sur un coup de tête, que la famille posa ses pénates, sans jamais repartir. Ainsi, au fil des 15 dernières années, on découvrit peu à peu, à la télé et au cinéma, les 5 frères constituant le clan Schneider, tous devenus acteurs.

L’ainé, Vadim, décédé en 2003 accidentellement, a entraîné les autres dans son sillon, lui qui jouait dans la série 15/A. Puis il y a eu Niels, remarqué dans Les Amours imaginaires de Xavier Dolan et qui mène actuellement une belle carrière en France ayant donné notamment la réplique à Fabrice Luchini  dans Gemma Bovary. Récemment, on a aussi pu voir Aliocha dans Ville-Marie aux côtés de Monica Bellucci, lui qui vient d’ailleurs de déménager à Paris pour y suivre les traces de Niels. Le cinquième frère, Volodia, bien qu’inscrit dans une agence de casting, se consacre quant à lui davantage à une carrière de musicien-batteur. De son côté, Vassili pense déjà qu’après ses études, il pourrait éventuellement suivre les traces de deux de ses ainés et partir vivre dans l’Hexagone Mais pour l’instant, pas question de parler de compétition entre les frangins, au contraire, chacun encourage l’autre au fil des rôles qui s’accumulent.  En 2016, on pourra d’ailleurs voir, ensemble au grand écran, Vassili et Aliocha jouant deux frères dans Monsieur Schneijder, l’adaptation du roman de l’écrivain français Jean-Paul Dubois, une coproduction mettant aussi en vedette Thierry Lhermitte. Les Schneider, c’est une histoire de famille qu’il faudra suivre attentivement.

Trompettistes à l’écran

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Chet Baker (1929-1988)

De nombreux concerts de jazz sont présentés à Québec ces jours-ci, octobre étant depuis plusieurs années un mois associé au Festival international de jazz de Québec. Le cinéma, lui, semble avoir peu exploré cet univers musical depuis 25 ans. Les films sur le jazz et ses artisans ont été rares, du moins en fiction. Dans les années 80, il y a eu bien sûr ‘Round Midnight de Bertrand Tavernier, une œuvre inspirée des parcours de Lester Young et de Bud Powell, et Bird de Clint Eastwood  portant sur le saxophoniste Charlie Parker. Je m’en voudrais aussi d’omettre Mo’ Better Blues, sorti en 1990, possiblement le film le plus sous-estimé de Spike Lee, une œuvre rendant avec une belle justesse de ton le quotidien des jazzmen noirs et la vie dans les clubs.

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Don Cheadle dans Miles Ahead

En 2016, la donne changera puisque deux films à saveur biographique prendront l’affiche. Deux réalisations s’attardant aux carrières immenses de deux immortels du jazz, deux trompettistes par-dessus le marché. Tout d’abord, il y aura Miles Ahead, un film réalisé par l’acteur américain Don Cheadle (vu récemment dans Iron Man) qui jouera Miles Davis en plus de coscénariser et de coproduire le projet. Le long métrage, dont le titre réfère à un album du maître paru en 1957, se penchera sur les mémoires du musicien et sur sa relation avec un journaliste du magazine Rolling Stone joué par Ewan McGregor. Reconnu depuis longtemps comme un dieu du jazz, Miles Davis, décédé en 1991 à l’âge de 65 ans, s’est fait un nom grâce aux albums Kind of Blue et Sketches of Spain notamment, en plus de composer la mythique musique miles1du film Ascenseur pour l’échafaud de Louis Malle. On se souviendra également de Davis pour ses déboires reliés à  ses problèmes de dépendance à l’héroïne. La rumeur veut que Cheadle se retrouve aux Oscars avec ce rôle. Pour l’instant, aucune date de sortie en salle n’a été officialisée.

Born to Be Blue sera la deuxième biographie à saveur de jazz à prendre l’affiche au début de 2016. Réalisé par le Canadien Robert Budreau, le film met en scène Ethan Hawke (Boyhood) dans le rôle du trompettiste et chanteur Chet Baker, l’homme derrière le classique My Funny Valentine. Baker, tout comme Davis, a connu la gloire dans les années 50 et a aussi éprouvé de graves problèmes de consommation de drogues, problèmes qui seraient à l’origine de sa mortelle défenestration dans un hôtel à Amsterdam, en 1988. Born to Be Blue plongera dans les vingt dernières années de vie de Chet Baker. Tout ça en attendant un éventuel film sur John Coltrane, qui sait?

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Ethan Hawke interprétant Chet Baker

Les heureuses noces cinéma/musique

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Sergio Leone et Ennio Morricone

Au départ, la musique s’est jointe au cinéma dans un but pratique et non artistique. Dès 1896, il s’agissait pour le pianiste invité à la projection en salle, de jouer assez fort pour couvrir le bruit mécanique du projecteur. Douze ans plus tard, on attribue à Camille Saint-Saëns le titre de premier compositeur de musiques pour le cinéma pour son travail conçu spécifiquement pour L’Assassinat du duc de Guise. Il faudra par la suite attendre l’arrivée du son à l’écran et l’invention du cinéma parlant avec Le Chanteur de jazz, en 1927, pour imposer, de façon synchrone, ce qui allait devenir un mariage des plus heureux entre les images d’un film et la musique qui les accompagne.

Passionné de musiques conçues pour le cinéma,  j’ai tenu durant de nombreuses années une chronique sur les bandes sonores dans le Magazine Le Clap. Ce travail m’a amené à m’intéresser aux liens si particuliers qui unissent cinéastes et compositeurs; des unions qui parfois s’étalent sur plusieurs décennies et qui marquent d’un sceau distinctif des œuvres devenues des classiques. Dans cette veine, le site internet Taste of Cinema  a consacré un fort bel article, construit sous la forme Bernard-Herrmannd’un palmarès, aux vingt plus grandes associations réalisateur/compositeur de l’histoire du 7e art. Certains tandems qui s’y trouvent sont évidemment incontournables, parmi ceux-ci :  Fellini et Nino Rota, Leone et Morricone, Spielberg et John Williams, Hitchcock et Bernard Herrmann,  David Lynch et Angelo Badalamenti. D’autres sont plus méconnues :  Eisenstein et Prokofiev, Michael Curtiz et E.W. Korngold (The Adventures of Robin Hood, 1938).

Si des duos québécois avaient à s’y ajouter, on penserait à ceux formés de Christian Duguay et du défunt Normand Corbeil (The Art of War, Hitler: The Rise of Evil), à celui incontournable reliant Gilles Carle à Stéphane Venne (Les Mâles, Les Plouffe) Plouffeou encore au récent mariage unissant Philippe Falardeau à Martin Léon (Monsieur Lazhar, Guibord). À l’international, plusieurs récentes associations réalisateurs/compositeurs sont aussi à surveiller : David Fincher et Trenet Raznor, Paul Thomas Anderson et  Jonny Greenwood, Darren Aronofsky et Clint Mansell, Jacques Audiard et Alexandre Desplat. Cet univers émotionnel amalgamant images et musiques est fort riche et ne se résume pas qu’à un seul classement, mais le palmarès de Taste of Cinema a le mérite de remettre en perspective des alliances qu’on tend à oublier et qui sont souvent au cœur même de la réussite d’un film.

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Nino Rota et Federico Fellini

 

 

Dix films à voir en octobre

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The Walk, réalisé par Robert Zemeckis

Après  un coup d’œil sélectif sur les longs métrages à voir en septembre, regardons ce qui semble incontournable dans le calendrier des sorties pour le mois d’octobre. Voici donc, en toute subjectivité, les dix films à voir au cour du prochain mois. P.-S. : j’ai délibérément mis de côté  les nouveaux films de Ridley Scott (The Martian) et de Steven Spielberg (Bridge of Spies) qui, hélas, ne m’inspirent guère…

1- The Walk : Robert Zemeckis (la trilogie Back to the Future) est tout simplement dû pour nous offrir un film important. Filmé en 3D, The Walk est un drame biographique relatant le parcours stupéfiant de l’équilibriste et funambule Philippe Petit, qui, en 1974, a franchi illégalement sur une corde raide la distance qui séparait les deux tours du World Trade Center à New York. Joseph Gordon Levitt tient le haut de l’affiche de ce film tourné à Montréal. Date de sortie prévue : 30 septembre.

2- Guibord s’en va-t-en guerre : Après sa tiède escapade américaine, Philippe Falardeau est de retour avec une comédie dramatique politisée, sympathisant avec le travail parfois cruel de député régional et caricaturant les différents groupes de pression. Le cinéaste met le doigt sur les problèmes de santé de notre démocratie et dose son film d’un bel humanisme. Date de sortie prévue : 2 octobre.

3- Le Tout Nouveau Testament : Difficile de passer à côté d’un film belge qui met en vedette les excellents Benoît Poelvoorde et Yolande Moreau, avec en bonus Catherine Deneuve en actrice de soutien. Réalisé par Jaco Van Dormael (Toto le héros), cette satire religieuse autour d’un dieu d’apparence humaine, affreux, sale et méchant, devrait être des plus jouissives. Date de sortie prévue : 9 octobre.

4- Steve Jobs : Réalisé par le Britannique Danny Boyle (Trainspotting), scénarisé par Aaron Sorkin (The Social Network) et joué par Michael Fassbender (Shame), ce biopic peut difficilement manquer son coup. Le film se penche sur la vie de la défunte tête dirigeante d’Apple et profite déjà d’échos très favorables comparativement à l’essai précédent et plutôt raté (Jobs) avec Ashton Kutcher dans le rôle-titre.  Date de sortie prévue : 9 octobre.

5- Crimson Peak : Ah, l’énigme Guillermo Del Toro! Le réalisateur mexicain capable du meilleur (Le Labyrinthe de Pan) comme du pire (Pacific Rim) nous arrive cette automne avec un long métrage conçu autour d’un manoir étrange dans lequel file_609666_crimson-peak-poster-wasikowska-640x948s’engouffre une romancière qui tente d’échapper à ses démons intérieurs. Assaisonné de pincées d’herbes fantastiques et de quelques gouttes aux odeurs macabres, Crimson Peak suscite de grandes attentes chez les fans de films de genre. Date de sortie prévue : 16 octobre.

6- Secret in Their Eyes : Remake hollywoodien d’une œuvre déjà remarquable mais passée inaperçue aux États-Unis, soit le film argentin Dans ses yeux, récompensé de l’Oscar du meilleur film en langue étrangère en 2010. Le scénario original de ce suspense tournant autour de la justice et de la vengeance est brillant et la nouvelle distribution des plus éclatantes, avec entre autres Nicole Kidman, Chiwetel Ejiofor (Twelve Years a Slave), et Julia Roberts. Date de sortie prévue : 23 octobre.

7- Room : Basé sur le best seller de la canadienne Emma Donoghue, qui elle-même s’était inspirée d’un fait divers autrichien, cette coproduction irlando-canadienne se penche sur la vie d’un jeune garçon de cinq ans gardé en captivité dans une petite pièce aux côtés de sa mère. Cette dernière y vit séquestrée depuis son adolescence. Cette réalisation troublante, mettant en vedette Brie Larson, pourrait causer la surprise cette saison et être LE FILM que personne n’attendait.

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Les Démons de Philippe Lesage

8- Les Démons  : Associé au monde du documentaire, Philippe Lesage nous livre une première fiction étonnante, dotée d’une signature aussi méticuleuse que singulière dans le cinéma québécois.  Les Démons est une œuvre forte, impressionniste, alternant entre le thriller et le drame social, dégageant une poésie de banlieue inquiétante, soutenue par une distribution de jeunes comédiens dirigés de main de maître par le cinéaste. Un must malgré son étrangeté. Date de sortie prévue : 30 octobre.

9- Regression : Digne successeur d’Almodóvar à titre de réalisateur hispanique le plus doué, Alejandro Amenabar est de retour. Après avoir signé des films comme Ouvre les yeux, Les Autres et La Mer intérieure, l’Espagnol n’a plus rien à prouver sinon de revenir à l’avant-scène du cinéma mondial, lui qui s’était fait plus discret depuis quelques années. Avec Regression, il replonge dans le cinéma d’horreur en mettant en scène l’adorable Emma Watson (l’Hermione d’Harry Potter) dans ce récit de maison hantée qui on l’espère marquera l’Halloween 2015. Date de sortie prévue : 30 octobre.

10- Victoria : Présenté au dernier Festival de Berlin, Victoria est un film étourdissant qui nous hante longtemps après son visionnement. Pourtant, ce film ne raconte pas grand-chose, son récit étant fort mince à la base. Signé par le réalisateur teuton Sebastian Schipper, Victoria se résume en un long plan-séquence de 2 h 15, relatant une virée nocturne qui tourne mal pour une Espagnole recasée à Berlin. Profitant d’une mise en scène totalement renversante, Victoria est le film allemand le plus marquant dans sa mise en images depuis le choc causé par Cours, Lola, cours en 1998. Date de sortie prévue : 30 octobre. Bande annonce de Victoria :

Pas un, mais deux Nombrils bientôt au grand écran

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Depuis sa création, voilà maintenant dix ans, la série de bandes dessinées Les Nombrils connaît un succès monstre, autant au Québec qu’en Europe. Le tandem dessinateur-scénariste, formé des Québécois Marc Delafontaine et Maryse Dubuc, proposent ces jours-ci en librairie le 7e tome des Nombrils relatant avec humour l’amitié grinçante unissant Karine, Vicky et Jenny, trois adolescentes qui ont charmé instantanément un public composé autant d’adultes que d’enfants. Depuis plusieurs mois, les deux artistes travaillent également sur deux projets qui leur tiennent à cœur, soit l’adaptation au grand écran de leur univers avec d’un côté de vraies actrices, et de l’autre, des personnages animés.

Jointe au téléphone à son retour d’une tournée promotionnelle en France où l’on aime bien prononcer le « L» à la fin de nombril, Maryse Dubuc nous donne des détails sur les deux adaptations en cour d’écriture. «Le projet des Nombrils avec de vrais comédiens est une coproduction entre la France et le Québec. C’est Daive Cohen qui en est le scénariste, lui qui a Delaf&Dubuc+fillesbeaucoup travaillé avec Kev Adams ces dernières années et qui est aussi derrière Les Nouvelles Aventures d’Aladin qui sortira en octobre en France, un film tourné aussi avec de vrais acteurs. Cohen étant très occupé, on va devoir s’investir dans l’écriture même si pour l’instant nous ne sommes que consultants », d’affirmer Maryse qui ajoute que ce futur film regroupera des éléments des quatre premiers tomes des Nombrils. « Le plan pour l’instant, c’est de faire deux films coup sur coup avec la même histoire. L’un avec une distribution française, l’autre avec des comédiennes québécoises, tout ça pour une question de langage, de dialogues, afin de s’adapter à nos deux publics ».

Le second projet lui, est un film d’animation, coproduit par le Québec et la Belgique avec l’apport des Éditions Dupuis. « Pour le dessin animé, on voulait apporter un plus pour nos lecteurs. On ne voulait pas que les deux projets empiètent l’un sur l’autre, donc, on a décidé d’y aller avec un prequel (un antépisode) en essayant de montrer comment l’amitié de Karine, Vicky et Jenny avait débuté », de dire la bédéiste. C’est François Avard (Les Bougon, Le Mirage) qui planche présentement sur le scénario. Si le réalisateur n’a pas encore été choisi pour la version live, pour le dessin animé, c’est Marc Delafontaine qui réalisera le tout en collaboration avec Benoît Godbout (Blaise le blasé), grand fan de la série. Maryse Dubuc souligne que l’avantage avec la version animée, c’est qu’il y aura deux doublages pour le même film, un pour le Québec et un pour l’Europe.

Voyant le succès se poindre dès le lancement de la série, les deux bédéistes ont rapidement été approchés par des producteurs intéressés à transposer leur univers au grand ou au petit écran. Finalement, ils ont pu choisir avec qui ils voulaient travailler en prenant bien leur temps, sachant que le cinéma, c’est une grosse machine qui avance lentement. Et même si les les-nombrils,-tome-7---un-bonheur-presque-parfait-674995adaptations filmiques ratées de BD sont nombreuses (Boule et Bill, Lucky Luke, etc.), Maryse estime qu’il y a moyen d’en faire une réussite, citant les exemples de Gemma Bovery et Tamara Drewe de Posy Simmonds ou encore Ghost World de Daniel Clowes en exemples. « Y a moyen de réussir une adaptation même si au départ c’est difficile d’avoir un scénario classique, conçu en trois actes, et d’en faire un film qui se tient. Mais j’ai bon espoir qu’avec Les Nombrils, on y arrivera. On espère voir le tout se concrétiser le plus tôt possible, surtout pour la version humaine, car un projet d’animation, ça c’est toujours plus long à réaliser », de conclure la scénariste établie en Estrie. Leur tournée de promotion outre-Atlantique étant terminée, Delaf et Dubuc s’apprêtent cet automne à faire le tour des salons du livre du Québec. Ils feront aussi un arrêt dans la capitale nationale pour rencontrer leurs lecteurs à la bibliothèque Gabrielle-Roy, le 11 novembre prochain, lors d’une soirée animée par le vulgarisateur et expert du 9e art Michel Giguère. C’est un rendez-vous.

Quand le cinéma s’invite au théâtre

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Robert Lepage dans la pièce Quills

À chaque mois de septembre, la rentrée, c’est pour tout le monde, étudiants ou joueurs de hockey, artisans du secteur culturel en général, ceux du milieu du livre, du cinéma et bien évidemment ceux du théâtre. Bien que féru du monde cinématographique, j’ai aussi la bonne habitude, à cette période-ci, d’éplucher la programmation des différents théâtres de Québec : Périscope, Bordée, Trident, Premier Acte, Gros Becs.

Cette année, comme cinéphile, la programmation du Trident m’a particulièrement fasciné car, de façon aussi ludique qu’anecdotique, j’ai pu établir un lien entre chacune des pièces de la programmation et l’univers du 7e art. En voici la preuve. La saison du Trident s’amorce avec Le Dieu du carnage de Yasmina Reza, adapté au grand écran par Roman Polanski en 2011, puis s’enchaîne avec 1984, livre culte d’Orwell transposé au cinéma en 1984 par Michael Radford, ensuite Quills sorti en 2000, signé Philip Kaufman avec Geoffrey Rush dans le rôle de Sade, Lapin Lapin, une pièce écrite par la réalisatrice Coline Serreau (La Crise) et, finalement, L’Orangeraie de Larry Tremblay, fort beau roman publié chez Alto et dont les droits d’adaptation au cinéma ont été achetés par la société de production québécoise micro_scope (Monsieur Lazhar, Gabrielle, Tu dors Nicole).

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Anne-Marie Olivier, crédit photo, Stéphane Bourgeois

Concoctée par la directrice artistique de l’institution, Anne-Marie Olivier, la sélection m’apparaît très relevée et j’en ai profité pour discuter avec elle pour en savoir davantage sur ce hasard liant dans sa programmation le 6e et le 7e art, sachant qu’il n’y avait rien de prémédité et, qu’inévitablement, la discussion allait aussi bifurquer sur un tas de choses. « C’est réellement un hasard car, avant tout, le mandat du Trident, c’est de faire du répertoire et du contemporain. Par exemple,  1984, ce n’est pas du théâtre de répertoire, mais moi j’aime élargir tout ça et surtout voir dans les pièces sélectionnées un point de vue très actuel. Tout passe par le contenu et par le fait de revisiter des œuvres qu’on pense connaître, comme 1984, qu’on peut relire ou revoir en film et qui ont une résonance forte avec ce que l’on vit présentement en Occident », de préciser Anne-Marie. « 1984 sera sûrement la pièce qui, sur scène, sera la plus cinématographique, car on jouera beaucoup sur la perception dans la conception même de la pièce et sans pour autant que ça ressemble au film. C’est aussi tout un défi d’adaptation car c’est un texte très impressionniste, plus abstrait que réaliste. Le public va être très surpris », ajoute-t-elle.

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1984, mis en scène par Édith Patenaude

Quand on évoque Quills, la directrice constate avec fébrilité que de voir Robert Lepage incarner le marquis de Sade sur la scène du Trident, c’est une occasion unique et que l’on ne reverra pas avec la construction imminente du Diamant. C’est une offre que ne pouvait refuser le théâtre, pas seulement parce que Lepage, aussi cinéaste, y tient le premier rôle, mais aussi parce qu’étrangement la pièce de Doug Wright qui a donné lieu au film n’avait jamais été traduite en français, donnant à l’événement des allures de première et l’occasion pour le spectateur de se questionner sur les notions de bien et de mal. Si la présence de Lepage a de quoi attirer les foules, Anne-Marie souligne que les abonnés semblent aussi très inspirés par 1984 et L’Orangeraie, mettant de l’avant l’intérêt littéraire pour les amateurs de théâtre. Mais selon elle, il y aussi un danger dans tout ça : « Rattacher trop les œuvres aux livres ou aux films, c’est aussi un couteau à deux tranchants. Y a le danger d’être déçu. C’est pourquoi j’aime qu’on réactualise tout ça et je me répète, mais d’y voir une réelle résonance avec ce qu’on vit aujourd’hui. En bâtissant la programmation, je me questionne toujours sur ce qui va nous faire réfléchir dans une pièce, car pour moi l’art est un outil de transformation et de réflexion », d’analyser la directrice artistique qui voilà trois ans succéda à Gill Champagne.

Si la pertinence des contenus passe avant tout, Lapin Lapin est peut-être l’exception de sa sélection, une création comique, véritable plaisir coupable, une grosse pâtisserie qu’on ne peut s’empêcher de manger selon Anne-Marie Olivier qui affirme tenir compte des commentaires des abonnés qui trouvent parfois le théâtre un peu sombre. Dramaturge et comédienne, son poste au Trident lui enlève du temps de création, du temps dont elle s’ennuie inévitablement. Heureusement, elle adore relever le défi de concocter une programmation de qualité, donnant l’opportunité à des artistes talentueux de créer, et ce, même si le contexte est devenu très difficile. « Les moyens diminuent, nous n’avons plus de marge de manœuvre, ici comme à Montréal. Même avec une salle remplie à 80 % pour toute la saison, les théâtres peinent à garder la tête hors de l’eau et à éviter les déficits. Le mur, il arrive vite et on va le frapper bientôt. Y a sûrement des questions à se poser sur l’importance de l’art dans nos vies », s’interroge-t-elle.

Et quand on aborde la question du peu de présence du théâtre dans les médias, Anne-Marie déclare : « Il faut se battre tout le temps. Par exemple, une seule entrevue à la radio, avec Catherine Perrin à Radio-Canada, et nos salles se remplissent. Les raisons pour ne pas parler de théâtre sont difficiles à accepter, l’espace médiatique est rare et c’est très préoccupant. Nous, on se demande souvent à quel point les journalistes culturels sont libres de parler de ce qu’ils veulent. C’est triste d’entendre dire que le public en général s’en fout. On est tributaire de ça », de conclure celle qui aimerait bien intégrer une éventuelle adaptation théâtrale de La Famille Bélier dans une future programmation. D’ici là, la rentrée au Trident, c’est cette semaine qu’elle débute avec Le Dieu du carnage dans une mise en scène de Michel Nadeau. Un titre qui, selon certains, résonne parfaitement avec les politiques austères qui affectent actuellement le milieu culturel et celui de l’éducation au Québec…

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L’Orangeraie de Larry Tremblay