Un cinéaste à suivre !

59355_16

Prenant l’affiche vendredi, La Marche à suivre est un très beau documentaire de l’ONF réalisé par Jean-François Caissy. Originaire de la Gaspésie, le cinéaste est retourné dans son coin de pays pour y tourner son troisième film devenu, au fil du tournage, un portrait de groupe contemplatif ne suivant aucun personnage en particulier, mais focalisant sur l’âge ingrat, celui de l’adolescence. Dans son long métrage précédent, La Belle Visite, Caissy s’était intéressé au troisième âge avec pour décor un foyer comme on en voit souvent. Cette fois-ci, il s’introduit à l’intérieur de son ancienne école secondaire, dans le bureau de direction, montrant dans l’intimité la dynamique des rencontres entre les autorités scolaires et différents jeunes aux prises avec diverses problématiques (turbulence, violence, harcèlement, etc.). À travers ces témoignages, le film s’attarde aussi aux activités extra-muros des jeunes Gaspésiens où les rides de VTT dans les pits de sable font partie du quotidien.

Rencontré à Québec, cette semaine, Jean-François Caissy semble très satisfait du résultat, tellement qu’il souligne qu’au montage de La marche à suivre, l’idée lui est venue de poursuivre sa démarche d’observation générationnelle dans ses trois prochains films. Déjà, il est au travail pour celui qui portera sur les 18-25 ans. Sans s’étendre plus longtemps sur Caissy_Jean-Francois_01ce nouveau projet, il revient sur ce qui fait la particularité de La Marche à suivre, c’est-à-dire les confessions sans pudeur des adolescents appelés dans le bureau de direction. « Les jeunes ont accepté de laisser la caméra les filmer sans qu’on n’ait besoin de les convaincre, possiblement par besoin d’attention, une attention qui ne venait pas de l’école elle-même ou des parents », dira-t-il. « Pour eux, aller dans le bureau du directeur, ils ne voient pas ça comme un drame, ce ne sont que des petits problèmes. Et même pour le cas du harcèlement vu dans le film, et sans vouloir minimiser le phénomène, ça fait partie de la période de l’adolescence », d’ajouter le réalisateur.

La démarche documentaire de Jean-François Caissy n’est pas sans rappeler celle de Nicolas Philibert (Être et avoir) ou de Raymond Depardon (10e chambre, instants d’audience), des créateurs qu’il avoue admirer. Le Gaspésien d’origine a le même souci qu’eux d’éviter toute tendance moralisante ou de tourner de façon condescendante ses sujets. Mais là où il se démarque des deux documentaristes français, c’est dans sa signature poétique, à l’origine de tableaux naturalistes, lents, qui parsèment ses œuvres, surtout cette plus récente réalisation.

Avec le feu vert de la direction de l’école, Caissy  a pu prendre son temps pour tourner les images de son film (70 jours de tournage étalés sur une année scolaire) afin d’obtenir le résultat escompté. Et quand on lui demande pourquoi n’avoir montré que des élèves en difficulté, la réponse du cinéaste ne se fait pas attendre :  « Sans tomber dans le drame social, je tenais à plonger dans l’adolescence, une période que personne ne veut revivre, une zone grise de la vie, un long moment où l’on se cherche, où l’on ne se connaît pas du tout. J’ai choisi de filmer des jeunes avec des problèmes, car quand ça va bien à l’école, on ne rencontre pas le directeur et y a rien à montrer. Dramatiquement, les problèmes, c’est plus fort et c’est ce que je voulais offrir avec La Marche à suivre. Et tout ça, pour moi, c’est bien moins triste que des jeunes qui se promènent ensemble avec des iPod et qui ne se parlent même plus. J’aime mieux les voir explorer la vie, même si parfois ils se pètent la gueule ».

D’un genre à l’autre

En octobre dernier, sur ce blogue, je résumais tout le plaisir que j’avais eu à voir le film L’Amour est un crime parfait des frères Larrieu, une comédie noire et alpine qui m’a 479126totalement séduit. Un autre film français que personne n’attendait, ni moi d’ailleurs, m’a également procuré récemment beaucoup de bonheur. Il s’agit de Pas son genre, la toute dernière réalisation du Belge Lucas Belvaux qui n’aura eu qu’une semaine de vie sur nos écrans. Pourquoi ai-je tant aimé ce film ? Peut-être parce que je retrouvais dans cette histoire un peu de l’univers de La Discrète avec Fabrice Luchini, une œuvre qui m’avait totalement fasciné à l’époque. Racontant la relation amoureuse improbable entre un prof de philosophie et une coiffeuse Pas son genre mise sur le talent du tandem formé de Loïc Corbery (une découverte) et d’Émilie Dequenne (révélée dans Rosetta). Adapté du livre de Philippe Vilain (dont j’ai adoré les romans précédents, tiens donc !) Pas son genre est à ranger dans le lot des drames romantiques en apparence banals, mais qui examinent avec une fine intelligence et une cruelle douceur le phénomène de l’amour et de l’attirance et de la pérennité d’un couple que tout sépare. Hélas, comme c’est souvent le cas avec ce genre de petits films étrangers sortant discrètement en salle, le film n’a pas eu une longue vie en salle. Mais bon, coup de coeur oblige, il fallait que j’en glisse un mot puisqu’on aura l’occasion de le revoir dans quelques mois en DVD, sur une plateforme Web ou à la télé.

Plus localement et dans un autre ordre d’idées, le projet de documentaire Surfer sur la grâce de David B. Ricard a atteint son objectif de 15 000 $ en dons versés via la plateforme de sociofinancement Kickstarter. Une somme obtenue à l’arraché lors des trois derniers jours de campagne alors que plus de 3 000 $ ont été déposés durant ce dernier droit. Rencontré cette semaine à Limoilou, le quartier qu’il habite, le cinéaste résumait ainsi la finale de sa campagne de financement : « Passé le cap du 10 000 $, les dons ont déboulé, comme si les gens attendaient d’y croire avant de donner. Quand on a atteint le chiffre de 10 000, les gens se sont dit qu’ils ne donneraient pas leur argent pour rien, ils y croyaient, comme si avant ça, ils ne voulaient pas être associés à une possible défaite. C’est mon explication, mais ça, je le dis sous toute réserve ». Près de 50 % des dons proviennent de personnes que je ne connais pas du tout, c’est quand même incroyable » d’ajouter David qui prévoit finir la postproduction de son film en avril prochain.

duo

David et Louis Ricard, crédit photo Léo Lecours-Pelletier.

En cinéma, 15 000 $, c’est peu, mais c’est assez pour permettre à un réalisateur indépendant de finaliser un projet, de faire l’étalonnage des couleurs, le sous-titrage et autres détails techniques qui rendront le film plus attrayant. L’apport des réseaux sociaux a beaucoup aidé à atteindre l’objectif, David y a cru et avec sa petite équipe, ils ont travaillé chaque jour pour alimenter le site du film avec de nouveaux extraits du documentaire afin de séduire d’éventuels donneurs. « On a reçu l’appui de gens qui aiment le cinéma, de ceux qui aiment la planche à roulette aussi. La formule Kickstarter a un schéma bien précis. On savait que les dons plafonneraient à un moment donné et qu’il fallait relancer nos supporters potentiels et autres curieux  pour atteindre le cap du 10 000 et rendre le tout possible. Le fait que le projet soit en français n’a pas aidé non plus à aller chercher des dons à l’étranger. Ce qui nous a sauvés, c’est le sujet sportif du film qui a attiré les fans de skate et de slalom », d’ajouter le jeune réalisateur. Maintenant, David vise la participation de son film en avril à Visions du réel, un festival consacré aux documentaires situé à Nyon, en Suisse. Bref, c’est une histoire à suivre pour un cinéaste talentueux qui ne surfe pas seulement sur la chance, mais aussi sur l’effort continu et passionné de son équipe dans ce projet.

En terminant, contre vents et marées, à savoir la pléthore de films destinés aux oscars et à la faste période des Fêtes et qui envahiront les écrans dans les semaines à venir, il faut souligner la présentation au Clap et au Musée de la civilisation des 13es Sommets du cinéma d’animation de Québec, du 27 au 30 novembre. Dans cette même veine, discrètement et tout en ayant à coeur l’ouverture aux cinématographies étrangères, le Clap présente à nouveau le Festival du film roumain, du 28 novembre au 4 décembre. Il s’agit d’actes de résistance à l’hégémonie du cinéma comme la présentation ces derniers jours de la première édition du Festival du film de l’Inde au MNBAQ. À Québec, les amateurs de cinéma peuvent donc encore voyager à bas prix dans l’exotisme du 7e art.

Bande-annonce de Bobby Yeah, un film d’animation de Robert Morgan, présenté le samedi 29 novembre au Clap dans le cadre des Sommets de l’animation :

 

Solo pour un duo

10710871_10152836563923126_1559495596509929531_n

Bien connus des cinéphiles québécois, Isabelle Blais et Pierre-Luc Brillant ont prouvé à de nombreuses reprises leur talent de comédiens dans des films comme Québec-Montréal pour l’une et La Run pour l’autre. Ils ont même partagé le grand écran ensemble dans Borderline, sorti en 2008. Quelques années plus tard, un autre projet allait les réunir de nouveau, non pas devant les caméras, mais bien sur une scène, celle de la Licorne, où ils allaient incarner Bob et Helena dans la pièce de théâtre Midsummer, mise en scène avec succès par Philippe Lambert.

Bientôt présentée à Québec, à la Bordée (du 25 novembre au 6 décembre prochains), Midsummer raconte l’histoire d’une avocate et d’un petit truand d’Édimbourg qui, après une aventure d’un soir et un butin volé entre leurs mains, remettent en question leurs choix de vie et leurs destinées. Comédie romantique d’origine écossaise se moquant du genre, Midsummer est une pièce qui permet à ses deux interprètes, choisis aussi pour leurs talents musicaux (Pierre-Luc fait partie du groupe Les Batteux-Slaques et Isabelle de Caïman Fu), d’interpréter sur scène neuf chansons intégrées au récit.

Rencontrés à Québec lors de leur passage pour la promotion de ce spectacle théâtral qui tourne depuis plus de trois ans, le tandem, couple sur scène comme à la ville, s’est épanché sur ce qui différencie le travail d’acteur au cinéma et au théâtre. «Au théâtre, c’est bien plus jouissif, plus nourrissant à cause de la réaction du public devant toi chaque soir. Et aussi parce que tu t’appropries un texte de qualité soir après soir. Au cinéma, le fun, c’est de finir par voir le produit final au grand écran », de résumer Pierre-Luc. Et Isabelle de préciser, « c’est plus exigeant au théâtre, ça prend beaucoup de tonus pour tenir durant 1 h 40 sur une scène. Lors d’un tournage, c’est morcelé, ce n’est pas le même souffle de jeu ». « Au cinéma, l’émotion est dans le regard, au théâtre, l’émotion est dans le corps » de poursuivre l’acteur.10676154_10152830416528126_5335369222490539207_n « Sur scène cependant, l’inconvénient, c’est qu’il n’ y a pas de deuxième chance. Tu peux facilement avoir l’impression d’avoir raté une réplique, alors là, c’est dur pour l’ego et tu ne peux même pas te reprendre comme au cinéma ».

Les deux comédiens prennent un plaisir évident à faire cette tournée de par la nature même du projet. « C’est un récit à deux voix, on est dépendant l’un de l’autre sur la scène, on joue les scènes, on fait la narration, on interprète les chansons. C’est construit comme une comédie romantique que l’on déconstruit au fur et à mesure, une comédie cynique, un peu à la Woody Allen, avec de nombreuses remises en question mais qui peut plaire à toutes les générations de spectateurs. On a travaillé en osmose pour arriver à relever ce défi. C’est du gros travail cette pièce-là, et c’est pour ça que je ne me verrai pas jouer Midsummer avec une autre comédienne qu’Isabelle », de conclure Pierre-Luc.

Isabelle Blais et Pierre-Luc Brillant tourneront à nouveau ensemble en mars prochain dans Énergie sombre réalisé par Leonardo Fuica (La Run), un film de fantômes tourné dans des lieux réputés hantés au Québec. Et on les verra au grand écran dans le deuxième long métrage de Jimmy Larouche, Antoine et Marie, un drame qui prendra l’affiche au Québec d’ici le printemps prochain.

Embrasser le grand et le petit écran

Videodrome

Depuis quelques années, de nombreux réalisateurs réputés alternent les projets conçus pour le grand écran et ceux destinés au petit écran. Parmi eux, Martin Scorsese (Boardwalk Empire), David Fincher (House of Cards), Guillermo Del Toro (The Strain) Steven Soderbergh (The Knick) et bientôt M. Night Shyamalan (Wayward Pines). Les Québécois n’échappent pas à cette tendance puisque Ricardo Trogi, Francis Leclerc et Podz jouent allègrement sur les deux tableaux tout comme Yves Simoneau et Christian Duguay à l’international.

En France, le phénomène, quoique moins répandu, pourrait aussi prendre de l’ampleur depuis l’accueil public et critique plus que favorable octroyé à P’tit Quinquin, une série de quatre épisodes réalisée par Bruno Dumont et présentée sur ARTE en France. Suivie par 1,5 million de personnes lors de sa diffusion, P’tit Quinquin relate l’enquête de deux policiers dans une petite ville de la région du Nord-Pas-de-Calais après la découverte, à l’intérieur d’une vache,  du corps démembré d’une femme. Autour de cette intrigue macabre gravite innocemment une bande de jeunes copains menée par P’tit Quinquin. 7915

Né en 1958 et lui-même enfant du nord de la France, Bruno Dumont se fait un nom dans le milieu du cinéma en 1997 avec La Vie de Jésus, un premier long métrage qui n’a rien de biblique malgré son  titre évocateur. Son second opus, L’Humanité, le met à l’avant plan du septième art mondial en remportant le Grand Prix du Festival de Cannes en 1999, récompense que Dumont recevra à nouveau en 2006 pour Flandres. En 2013, Camille Claudel 1915, son septième long métrage prend l’affiche avec pour la première fois au sein de sa distribution une « vedette  », en l’occurrence Juliette Binoche dans le rôle de la sculptrice internée. Dumont, au fil d’une carrière aussi respectée que conspuée, a effectivement misé sur des comédiens non-professionnels pour incarner les anti-héros un peu paumés habitant ses œuvres. Ses films, aux scènes lentes âpres et crues, baignent toujours dans un naturalisme qu’il se plaît lui-même à renier.

P’tit Quinquin porte évidemment sa singulière signature. Mais cette tragicomédie en quatre chapitres s’avère aussi sa création la plus loufoque, baignant dans une douce folie qui étonne autant qu’elle charme. Malgré un récit des plus macabres, Bruno Dumont met en scène des personnages attachants, imparfaits, joués par des amateurs au  jeu naturel, spontané et maladroit. C’est ce qui rend si unique cette série flirtant avec le polar absurde et qui, on l’espère grandement, aura une suite. Marquant l’entrée dans le milieu télévisuel du cinéaste, P’tit Quinquin a été lancé à la Quinzaine des réalisateurs de Cannes en mai dernier. La série a été présentée dans les salles françaises en octobre , offerte en un solide bloc de 3 heures 28 minutes, rendant plus floue la frontière séparant la télé et le cinéma. Au Québec, Funfilm distribuera la série en salle, possiblement au début de l’année 2015. Un rendez-vous à ne pas manquer!