Des Oscars aux Jutra, on ne dispute pas

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Aujourd’hui mercredi avait lieu le dévoilement des nominations pour les César 2016, cérémonie récompensant les meilleurs films français de l’année. Y aura-t-il controverse? Surtout qu’en France, on aime bien les confrontations intellectuelles. Pas plus tard que lundi dernier, on dévoilait ici les nommés pour les différents prix Jutra qui seront attribués pour le cinéma québécois le 20 mars prochain. Sur les réseaux sociaux et dans quelques médias traditionnels (ceux qui subsistent encore), le débat faisait rage. Donne-t-on trop de place, parmi les nommés, aux films populaires comme La Passion d’Augustine? Ou encore, les œuvres d’auteur, plus obscures, méritent-elles autant de nominations? Pourquoi Le Mirage est-il absent malgré son beau succès en salle, lui qui n’a récolté qu’une nomination pour l’actrice de soutien, l’excellente Christine Beaulieu? Et Patrick Huard, lui, aucune nomination pour son rôle dans Guibord. Étonnant, non? Il est tout à fait normal de remettre en question les choix année après année, c’est le propre des gérants d’estrade et j’en fais partie. Impossible de plaire à tous également, mais il faut admettre que cette année, face aux Oscars, la diversité aux Jutra est réellement présente.

En tout, 23 longs métrages de fiction sur les 42 films québécois éligibles, sortis en 2015, obtiennent au moins une nomination pour un Jutra. De plus, les acteurs de  «couleur » sont pour une rare fois fort bien représentés 943375-noir-nwa-affichegrâce à de belles performances dans les films Noir, Scratch et Guibord s’en va-t-en guerre. Qui dit mieux? Pas l’Académie des Oscars en tout cas, elle qui nage dans la tourmente depuis plusieurs jours. Le roitelet Spike Lee et sa cour ont vivement dénoncé l’absence de nomination pour les Afro-Américains cette année. Puis, tout le monde y est allé de son commentaire. Charlotte Rampling voit dans cette charge du racisme inversé. Michael Caine préfère en rire. Julie Delpy trouve la représentation des femmes au cinéma beaucoup plus problématique et enfin, Ian McKellen confirme que l’absence d’acteurs gais aux Oscars est beaucoup plus suspicieuse.

Évidemment, on ne peut être contre la vertu et on ne peut que souhaiter que petit à petit, le milieu s’ouvre davantage aux minorités et pour caricaturer, voir un jour une comédienne noire et lesbienne monter sur scène afin d’y cueillir le trophée tant désiré. Une organisation comme les Oscars, sans être aussi moyenâgeuse que l’Académie française, apparaît encore en retard sur l’évolution de la société en général. Mais finalement, il est primordial que le processus de sélection des mises en nomination ne dérive pas de sa mission première, soit de récompenser le talent et non de, par un jeu comptable politiquement correct, faire plaisir à tous les groupes de pression et à tous ceux qui trouvent qu’ils sont sous-représentés lors de cette cérémonie annuelle. Pour l’instant, il faut se rappeler que les Oscars, c’est avant tout un gros spectacle de paillettes « arrangé avec le gars des vues ». Je vous laisse sur cette vidéo retraçant les Afro-Américains ayant reçu un Oscar au fil des années et nous rappelant, du même coup, de fort beaux souvenirs.

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Janvier 2016, un mois intense !

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Leonardo DiCaprio face au grizzly dans Le Revenant

Il y a eu Le Revenant, Le Fils de Saul, bientôt Mustang et on pourrait continuer ainsi avec la nomenclature de plusieurs autres titres. Les films du mois de janvier ne sortent pas des fonds de tiroir des distributeurs cette année. Ces longs métrages nous rappellent quand même que le calendrier de sorties est bien difficile à comprendre. En décembre, les distributeurs misent sur le lancement de films à grand déploiement, sur des comédies du temps des fêtes et sur des œuvres dites oscarisables. Puis en janvier, on préfère normalement lancer des fictions d’horreur potache ou à l’humour scatologique qui ne laisseront pas de traces douze mois plus tard lors du bilan annuel.

Janvier, c’est donc le moment idéal afin de rattraper le temps perdu à magasiner et à se farcir les films encore à l’affiche qui ont la cote. Après la déferlante Star Wars, il faut trouver le bon moment pour voir le dernier Tarantino, Carol ou Spotlight avant que la cérémonie des Oscars de février nous rappelle les noms de ces incontournables de 2015 que nous avons ratés. Pourtant, cette année, les longs métrages programmés en janvier sont grosso modo de haute qualité. La liste donne presque le vertige. Il y a Le Revenant et sa scène mémorable opposant DiCaprio au grizzly, candidat incontournable aux UnknownOscars, Mustang et Le Fils de Saul, tous deux se retrouvant finalistes dans la catégorie du meilleur film en langue étrangère, le dessin animé brésilien Le Garçon et le monde nommé dans la catégorie animation, et de la Serbie, Soleil de plomb, une œuvre remarquable dans sa façon de revisiter les tensions des vingt dernières années dans l’ex-Yougoslavie. Du côté québécois, il faut aussi souligner les sorties de Bienvenue à F.L., l’un des meilleurs documentaires vus depuis un an, et bien sûr Endorphine d’André Turpin, qui brille par son audace, son réalisateur flirtant ici avec  les univers glauques à la David Lynch.

Bref, janvier 2016 étonne et démarre l’année du bon pied. Et c’est tant mieux! En contrepartie, il faut aussi avouer que dans le domaine culturel, ce fut aussi un mois funeste. Juste du côté du cinéma, les pertes successives de Michel Galabru, d’Alan Rickman et d’Ettore Scola ont été marquantes. Leurs carrières respectives, fort différentes, auront marqué les cinéphiles. Galabru pour ses mimiques exaspérées dans une pléthore de comédies burlesques, pas toutes édifiantes il faut le rappeler. Rickman pour ses rôles dans Die Hard et dans Harry Potter, mais aussi pour sa grande sensibilité à titre de réalisateur avec le très beau The Winter Guest. Enfin, Scola qui à 84 ans bien sonnés représentait le dernier vestige de la grande époque du cinéma italien, celle des années 60 et 70 marquée du sceau de création d’Antonioni, de Visconti, de Fellini et de Pasolini. De par leur place dans le 7e art, Galabru, Rickman et Scola, nous marqueront car nous les avons tant aimés! On se rappellera de janvier 2016 pour ses grands films et aussi, un peu, pour ses grands disparus.

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Affreux, sales et méchants d’Ettore Scola

Les beaux malaises d’André Turpin

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Reconnu depuis plus de dix ans dans le milieu du cinéma québécois comme l’un des meilleurs directeurs photo, on tend à oublier qu’André Turpin est aussi réalisateur. Mais, à ce titre, il s’était tu depuis la sortie de son deuxième film, Un crabe dans la tête en 2001, lui qui faisait suite à Zigrail, lancé en 1995. Mais cette année, le cinéaste de 50 ans est de retour avec une proposition très étrange et audacieuse ayant pour titre Endorphine. Une œuvre qui cause un malaise, qui déforme la réalité, tissant une toile scénaristique plutôt angoissante.

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Sophie Nélisse dans Endorphine

En visite à Québec cette semaine pour rencontrer la presse pour la sortie de son long métrage prévue le 22 janvier prochain, André Turpin est d’abord revenu sur le choix du titre. « L’endorphine, c’est une substance secrétée par le corps humain lors de la pratique d’un sport, lorsqu’on a peur, ou encore lors de l’atteinte de l’orgasme. Et je trouvais que ça sonnait bien et que ça cadrait avec ce que vivait le personnage principal, Simone, (joué par trois comédiennes, Sophie Nélisse, Mylène Mackay, Lise Roy) dont la vie est divisée en trois périodes ».  Témoin du meurtre de sa mère alors qu’elle est adolescente, Simone vivra dès lors une confusion émotionnelle qui se traduira de trois façons différentes au cours de sa vie. « Mon film est une proposition très viscérale qui peut effrayer le spectateur, tellement que j’envisage d’enregistrer une présentation qui introduirait Endorphine au public et qui serait diffusée avant chaque représentation. Un petit clip de 30 secondes qui leur dit qu’ils n’ont pas à tenter de résoudre une énigme, à trouver la pièce manquante au casse-tête, qu’ils doivent rêver le film, car sinon, le fait de ne rien comprendre, pour beaucoup de gens, ça devient frustrant », de préciser le réalisateur qui avoue être fasciné par les univers glauques et étranges mis en place par David Lynch dans Lost Highway, Mulholland Drive et Inland Empire.

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André Turpin, réalisateur

Endorphine rappelle effectivement le travail de David Lynch, mais il renvoie aussi à la façon dont Denis Villeneuve a façonné Enemy ou encore à Possible Worlds réalisé par Robert Lepage en 2000, des films qui nous laissent dans un état étrange, qui provoquent un réel malaise, état que voulait atteindre André Turpin avec sa nouvelle création qu’il a lui-même scénarisé. « Lynch dans ses films ne donne pas de clé finale pour tout comprendre, mais ses histoires nous hantent et c’est ce que je désirais faire après des années d’absence comme réalisateur. Et heureusement, mes producteurs (micro_scope) et mon distributeur (Christal Films) m’ont suivi là-dedans. Ils ont fait preuve de courage, ils ont trouvé le film porteur et évocateur et m’ont rassuré face à mes craintes concernant l’éventuelle mise en marché, car évidemment, ce n’est pas un film facile à vendre », d’expliquer celui qui a fait la direction photo sur plusieurs films de Denis Villeneuve, Philippe Falardeau et Xavier Dolan. Pour la musique, Turpin est allé chercher l’ex-Karkwa, François Lafontaine, qui à la lecture du scénario a immédiatement été emballé. À ce sujet, le réalisateur précise qu’ils ont beaucoup écouté les partitions d’Angelo Badalamenti, compositeur attitré de Lynch, afin de voir de quelle façon la musique allait donner un ton à Endorphine, combiné à la conception sonore de Sylvain Bellemare, elle aussi, très importante. Ajoutons à cela l’omniprésence de la chanson Daydream in Blue du groupe britannique I Monster qui revient nous obséder tout au long de l’histoire et le mariage est parfait.

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L’acteur Guy Thauvette

Habitué à travailler avec des créateurs très formalistes comme Xavier Dolan et Denis Villeneuve (il considère d’ailleurs ce dernier comme un maître de la forme), André Turpin est resté dans le même sens dans sa façon de réaliser et s’avère fort heureux de sa relation avec Josée Deshaies, sa directrice photo sur Endorphine, elle qui travaille beaucoup avec Bertrand Bonello en France (Saint Laurent). « À force de faire de la direction photo pour les autres, ça a sûrement teinté ma relation, très engagée d’ailleurs, avec Josée. Je savais qu’elle aimait les lumières douces, naturalistes et c’est une fille qui a une grande culture de l’image et du cinéma, elle a beaucoup apporté au film », de dire André Turpin qui souligne aussi tout le talent de son équipe technique, de ses comédiennes et de Guy Thauvette qui joue le rôle du meurtrier. « Guy fait peur d’une façon visqueuse. Il semble avoir une maladie qui l’enveloppe et en plus, à l’inverse, il peut jouer les charmeurs. Il a été magnifique tout au long du tournage, flexible, très à l’écoute. Il a réussi à faire naître la peur quand on le voit, et quand on l’entend parler, on sent un retard mental chez lui ce qui le rend encore plus inquiétant », de conclure le réalisateur fier de la critique parue dans le Hollywood Reporter qui soulignait qu’Endorphine est le genre de film qui pourrait développer éventuellement un culte. Car bien que ni film d’horreur ni thriller, Endorphine provoque avec beaucoup d’habileté son lot d’étranges malaises.

Chercher un sens et le trouver !

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Ils sont plusieurs à s’interroger sur l’avenir de l’Homme, sur le futur de la planète et sur la pérennité de la civilisation telle que nous la connaissons présentement. Les doutes fusent quand on examine notre façon de vivre et de surconsommer. C’est ce genre de questionnement qui a amené deux Français, Nathanaël Coste et Marc De La Minaudière, à se lancer dans la réalisation d’un fort beau documentaire qui prendra l’affiche le 15 janvier prochain, un film qui a pour titre En quête de sens.

Joints en France récemment via Skype, les deux coréalisateurs et jeunes trentenaires sont revenus sur ce qui les a poussés à tourner un long métrage donnant la parole à ceux qui transforment petit à petit notre monde en transmettant des valeurs humanistes interreliées à un mode de vie inévitablement plus écologique basé sur l’interdépendance de l’Homme avec ce qui l’entoure. Nathanaël se souvient : « Ça nous a fait marrer quand on s’est retrouvés après s’être perdus de vue durant dix ans. Mark vendait des bouteilles d’eau à New York et moi je travaillais sur la gestion sociale de l’eau dans le sud de l’Inde. C’était paradoxal, mais l’eau nous a reliés. La crise financière de 2008 nous avait beaucoup affectés, on se disait que le monde que l’on marc et les singes-EQDSconnaissait n’avait plus d’avenir et nous nous sommes embarqués candidement dans cette aventure documentaire. Avec nos économies, on a voyagé, séjournant dans de petites auberges avec nos sacs à dos, une caméra et un micro. Voilà, c’était très simple et très autofinancé au départ. Une fois le tournage terminé, là on a bien vu que la finition du film coûterait cher. Alors, à l’aide du sociofinancement, nous avons recueilli à notre grande surprise plus de 36 000 euros, somme qui a servi à la postproduction du film. Le tournage et la production se sont échelonnés sur plus de trois ans et demi », de préciser le documentariste et géographe de formation.

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Marc De La Minaudière et Vandana Shiva

Formé dans une école de commerce, Marc, lui, en a eu marre de son quotidien dans le monde de la finance. Ce projet lui a permis de faire la connaissance de personnes inspirantes, l’idée centrale étant de partir à la rencontre de ceux qui vivent dans le concret, des êtres ancrés dans le temps présent, des acteurs impliqués dans les changements de mentalité autour de l’interdépendance entre la nature et l’humain. Conçu comme un récit de voyage, En quête de sens nous présente, entre autres, les points de vue de Vandana Shiva, écologiste et scientifique indienne, de l’essayiste et agriculteur français Pierre Rahbi et de Bruce Lipton, biologiste américain spécialisé en génétique. Au fil de cette nomenclature, Marc et Nathanaël insistent pour qualifier leur casting de cohérent et de lumineux. Loin du pamphlet ou du film de propagande, En quête de sens est une œuvre totalement ouverte qui a réussi à éviter les dangers associés à certains guides spirituels, de spécifier les cinéastes : « On pouvait aussi tomber sur des gourous qui ne veulent que nous vendre leurs livres, qui ont une approche mercantile de la spiritualité. Mais heureusement, on a un don pour reconnaître les gens vraiment authentiques ». Nathanaël ajoute que la période de transition que nous vivons apparaît lente, car les médias n’en font peu écho. Mais que c’est par l’entremise des personnes rencontrées durant leur tournage qu’ils ont  été témoins de cette dynamique de changement dans la façon de penser et d’agir un peu partout sur la planète, un effet de vague qui, avec Internet, conscientise lentement, mais sûrement la jeune génération aux problématiques liées à l’hyperconsommation.

Galvanisés par ses rencontres tenues sur plusieurs continents, les deux réalisateurs espèrent encore toucher le plus de gens possible avec la diffusion de leur film. Leur documentaire a été distribué de façon plutôt artisanale en France, en Belgique et en Suisse où l’on invitait les gens à faire pression pour que leur cinéma de quartier mette le film à l’affiche. Maintenant, leur production débarque au Québec et ils espèrent un bel accueil, soulignant que En quête de sens ne s’adresse pas uniquement aux convertis, mais aussi et surtout à ceux qui se questionnent naïvement sur le fonctionnement de notre société, et ce, tout comme eux-mêmes se questionnaient lorsqu’ils ont décidé de se lancer dans la réalisation de leur film. Ce dernier a assurément un potentiel pour être distribué, modestement évidemment, un peu partout dans le monde lui qui a été fort bien reçu récemment en Bolivie et au Pérou. Marc et Nathanaël concluent en réaffirmant l’universalité de leur sujet, de cette envie de métamorphose, cette envie de lutter contre l’uniformisation de la pensée et ce désir de mieux se connaître, de mieux comprendre notre univers et ce qui nous entoure. Pour eux, ce phénomène est des plus encourageants et est au cœur de cette inévitable quête de sens!

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