Christian Duguay est un cinéaste polyvalent et talentueux dont la carrière est difficile à résumer tellement il a un peu touché à tout. Un cheminement et des réalisations qui demeurent encore jusqu’à aujourd’hui trop méconnus du public québécois.
C’est au début des années 90 que Christian Duguay se fait un nom en réalisant Scanner II et Scanner III, les suites du classique de David Cronenberg, et ce, avant de se faire les dents sur différents drames d’action comme The Assignment et The Art of War. Puis, on le retrouve aux commandes de mini-séries fort réussies et ambitieuses comme Hitler : la naissance du mal, Human Traffiking et Jeanne d’Arc avant de mieux le voir revenir vers le cinéma avec Jappeloup et le second volet des aventures de Belle et Sébastien sorti l’an passé.
Le réalisateur, qui partage désormais son temps entre Prague, Paris et Montréal (ville d’où il est originaire), était récemment de passage à Québec pour faire la promotion d’Un sac de billes. Sa plus récente réalisation est une œuvre biographique touchante, une sorte de road movie porté par le jeu sensible de deux jeunes acteurs, Dorian Le Clech et Batyste Fleurial Palmieri.
Un sac de billes, c’est l’histoire véridique de Maurice et de Joseph Joffo, les deux plus jeunes frères d’une famille juive, envoyés sur les routes de France par leurs parents en direction du sud du pays afin d’échapper aux nazis lors de l’Occupation. Voici ce qu’avait à dire le cinéaste à propos de son film qui a rassemblé 1 300 000 spectateurs en salle lors de sa sortie en France.
Éditions Le Clap : Christian, qu’est-ce qui vous a motivé à embarquer dans la production de ce film à saveur historique?
Christian Duguay : Bien, c’est entre autres parce qu’on y retrouve un message encore très actuel sur l’importance de la vie, sur les dommages qu’entraîne la guerre surtout quand on pense à ce que vivent les Syriens présentement, aux familles déracinées qui, exilées, tentent de survivre. Aussi, c’était un récit qui permettait de raconter une histoire forte, mais du point de vue des deux jeunes frères. Sous le couvert du drame, de l’Occupation, on reste avec des bulles d’innocence, de fraîcheur par leurs regards d’enfants.
ELC: Justement, vos deux jeunes acteurs sont tout simplement formidables. Si ce n’était pas le cas, le film en souffrirait, car ils sont presque de toutes les scènes, non?
CD: Tout à fait. Cette aventure n’aurait jamais existé sans eux, sans le talent qu’ils déploient à l’écran. Et il fallait que le courant passe entre eux. Un gros travail a été fait sur le plateau pour travailler le registre de leurs émotions, et ce, sans qu’ils tombent dans les pièges habituels et en se répétant d’une scène à l’autre. Patrick Bruel et Elsa Zylberstein, qui jouent leurs parents, les ont très bien encadrés pour apporter cette authenticité. C’était un exercice ardu, mais une expérience fantastique. Il y avait de l’amour partout durant le tournage.
ELC: Des dizaines et des dizaines de films ont parlé de l’Occupation. Avait-on encore besoin de replonger dans cette période sombre de la France?
CD : Un sac de billes, c’est un devoir de mémoire et il est important que les nouvelles générations se rappellent, prennent conscience de ces atrocités. Au départ, c’est un livre qui s’est vendu à 20 millions d’exemplaires et qui a marqué bien des générations de jeunes Français. L’auteur Joseph Joffo est toujours vivant et il n’avait pas du tout aimé l’adaptation que Jacques Doillon avait réalisée au début des années 70. Il m’a dit « je compte sur vous Christian, et j’aimerais que vos images soient ma récompense ». J’espère avoir répondu favorablement à son message. Le moment est bon pour ça, c’est le temps de se rappeler, nous devons porter ce genre de message d’amour pour éviter que ça ne se reproduise.
ELC : Les reconstitutions historiques, les films à costumes et aux décors d’époque, ça ne vous pas peur on dirait. Vous semblez être à l’aise dans ce genre de productions qui demandent beaucoup de recherche artistiquement?
CD: C’est vrai que j’en ai fait plusieurs comme Hitler: la naissance du mal et Jeanne d’Arc. Avec mon expérience, je n’ai plus vraiment de craintes à mettre en scène ce genre de longs métrages et les producteurs me font confiance. Je tourne beaucoup à Prague, en Lituanie ou à Budapest, des lieux qui permettent de mettre en scène le Paris de jadis et qui coûtent moins cher lors des tournages.
ELC : Vous êtes Québécois et vous filmez des productions françaises, voire internationales, à Prague où vous résidez en majeure partie. Vous sentez-vous un peu comme un artiste apatride?
CD : Non, car je garde un pied-à-terre à Montréal et en tournage j’amène le Québec avec moi. Mes films sont presque toujours des coproductions québécoises, comme Un sac de billes. Mes équipes m’accompagnent dans tous mes projets en travaillant sur les effets spéciaux, le montage sonore, etc. C’est devenu un prérequis pour moi. Et si je peux faire travailler des gens de plusieurs pays, c’est toujours un plus. Ça devient un échange de talents, un mariage de cultures essentiel pour faire un bon film.
ELC : Vous planchez actuellement sur l’adaptation de la série de sept bandes dessinées de Loisel et Tripp, Magasin général. Ce sera inévitablement un autre flm d’époque. Où en êtes-vous avec ce projet?
CD : Je coécris le scénario avec Benoît Guichard avec lequel j’ai travaillé sur Un sac de billes. C’est un récit savoureux situé dans les années 20. Un Français débarque dans un petit village québécois, en plein hiver. Les hommes sont dans le bois et la veuve, qui tient le magasin général, tombe amoureuse du bel étranger. Cependant, ce dernier est plutôt attiré par le curé du village. Ils deviennent amis, ouvre un resto et bousculent bien sûr les dogmes, les mœurs de l’époque. L’intérêt des producteurs est là et mes récents succès en salle aident beaucoup à obtenir du financement. Je vois les portes s’ouvrir. Tellement, que j’ai remis en marche mon projet de film biographique sur la vie de Gilles Villeneuve (le défunt pilote de formule 1). Ça fait longtemps que je veux faire ce long métrage et je vais le faire! Un sac de billes prendra l’affiche au Québec le 16 juin prochain.