Les films historiques français ont souvent la cote auprès des spectateurs autant en France qu’ici. Encore plus quand ils ont une saveur biographique. Dans la dernière réalisation de Danièle Thompson, Cézanne et moi (en salle le 21 avril), nous avons même droit à deux récits biographiques historiques, celui du peintre Paul Cézanne et celui de l’écrivain Émile Zola, tous deux unis par une amitié forte s’étalant sur de nombreuses années à la fin du XIXe.
Guillaume Canet prête ses traits à Zola et Guillaume Gallienne (révélé dans Les Garçons et Guillaume, à table! et dans Yves Saint Laurent) à Cézanne. Rencontrés récemment lors des entrevues promotionnelles organisées par UniFrance, Gallienne et Danièle Thompson affirment tous deux que cette longue amitié méconnue méritait certainement d’être transposée au cinéma à cause de sa couleur particulière, du caractère bouillant des deux artistes ayant marqué leur époque et de par leurs destinées opposées. En effet, le talent de Cézanne fut reconnu après son décès alors que Zola, lui, était depuis longtemps devenu un incontournable du milieu littéraire français.
Voici ce qu’avait à ajouter la réalisatrice Danièle Thompson sur son sixième long métrage, elle qui a aussi scénarisé près de vingt films dont La Grande Vadrouille et Les Aventures de Rabbi Jacob réalisés par son défunt père Gérard Oury.
Édition Le Clap : Qu’est-ce qui vous intéressait à la fois chez Cézanne et chez Zola pour en faire un film?
Danièle Thompson : Leur amitié avant tout. Mon film, ce n’est pas purement et simplement un biopic, mais plutôt l’histoire de cette amitié entre deux hommes à travers un long tronçon de vie, de l’enfance jusqu’à la fin de la quarantaine. Ce sont deux grands artistes du XIXe, le plus grand siècle pour ce qui est de la littérature et de la peinture en France. C’est à la fois un récit sur la difficulté de garder l’amitié, un problème aussi difficile que de garder l’amour très longtemps parce que l’amour est une fusion entre deux personnes. Mais l’amitié, elle, est pleine d’embûches avec ce que la vie apporte comme choix politiques, artistiques, amoureux, et professionnels et qui peuvent tous nous séparer.
É.L.C. : Cette amitié unit deux artistes qui ne viennent pas du même milieu et qui ne vivront pas au même moment la reconnaissance du public et de leurs pairs. Ça devient le moteur du film, non?
D.T. : Oui, car les deux trajectoires sont vraiment intéressantes. L’un vient d’un milieu bourgeois, l’autre d’un milieu crève la faim et pourtant les destinées de Cézanne et de Zola vont s’inverser. Zola va vivre de sa plume et se plaira à devenir peu à peu bourgeois. Cézanne lui, se marginalise, il rejette l’aristocratie et vit dans une quasi-misère. Tout est inversé. Le succès vient rapidement à l’un et ne viendra jamais à l’autre de son vivant. Il faut dire qu’avec son caractère, ce n’était pas facile d’apprécier Cézanne. Aujourd’hui, on le mettrait dans la catégorie des personnes bipolaires. De plus, son art était incompris. Zola, lui, vivra aussi des difficultés, mais plus tard avec l’affaire Dreyfus, une histoire qui a divisé la France de l’époque et qui l’obligera à s’exiler. D’ailleurs, sa mort serait peut-être en réalité un assassinat. Mais bref, ce sont deux êtres dotés d’une grande force artistique et d’une touchante fragilité. C’est ce que je voulais aborder dans mon film.
É.L.C. : Récemment, vous avez fait la manchette quand les médias ont annoncé que vous planchiez sur Rabbi Jacqueline, la suite de Rabbi Jacob. Qu’en est-il?
D.T. : Ce n’est pas un Rabbi Jacob 2, mais une suite distancée se déroulant 40 ans plus tard avec au centre un personnage féminin. Jul, mon coscénariste (scénariste des nouvelles BD de Lucky Luke), et moi avons imaginé ce qui se passerait aujourd’hui avec les enfants et les petits-enfants des personnages du film, de Victor Pivert, de Slimane, de la famille Schmoll et de Rabbi Jacob, tous évoluant dans le monde d’aujourd’hui. Ce sera évidemment très différent de l’époque du premier, et ce, même si certains conflits sont toujours actifs. La civilisation moderne avec ce mélange des communautés est toujours un fort beau sujet, mais c’est aussi un domaine très complexe. J’ai écrit Rabbi Jacob à l’époque avec mon père et on a bossé comme des malades sur le scénario, donc je sais que ce qui nous attend et ce n’est pas simple. Les gens aiment tant ce film, c’est un petit chef-d’œuvre, c’est devenu un monument historique du cinéma, alors nous devons faire très attention en réalisant Rabbi Jacqueline. Le scénario n’est pas encore terminé et on s’entend pour dire qu’on ne le tournera que si on est entièrement satisfait de l’histoire.