Le Festival de Cannes se déroule présentement et les médias d’ici ont souligné, avec raison, l’importante présence canadienne qui s’y trouve cette année en compétition ou non (quatre longs métrages signés par Xavier Dolan, David Cronenberg, Atom Egoyan et Stéphane Lafleur, et deux courts métrages, dont Jutra qui a précédemment fait l’objet d’un texte sur ce blogue). Au contraire de Dolan et Lafleur qui sont vus comme des cinéastes de la relève, Egoyan et Cronenberg, eux, profitent d’une réputation enviable à l’échelle internationale depuis de nombreuses années à titre de porte-étendards du cinéma « Made in Canada. » Il fait bon de les revoir sur la croisette avec The Captive et Maps to the Stars mais on ne peut que constater, du même coup, l’absence de relève au Canada anglais. Au Québec, ce n’est plus André Forcier ou Denys Arcand qui attirent les regards des cinéphiles et critiques internationaux, mais les Dolan, Villeneuve, Falardeau, Lafleur, Nguyen, Côté et autres qui se font un nom à travers la présentation de leurs films dans les différents festivals à travers le monde.
À l’inverse, impossible actuellement de nommer de jeunes réalisateurs du ROC prometteurs et audacieux ou de citer des œuvres marquantes réalisées récemment par une nouvelle génération d’artisans. Hormis le plus que marginal Bruce LaBruce (L.A. Zombies, Gerontophilia) qui navigue dans les eaux de drames ou de comédies alliant orientation sexuelle amorale et horreur apocalyptique, c’est le désert de glace au Canada. Il y a sûrement quelques voix qui mériteraient notre attention, mais elles peinent à se faire entendre en dehors de leur province, voire d’un océan à l’autre comme ils disent. Où sont les visages de demain en réalisation en provenance de Vancouver ou de Toronto? Faut-il les chercher à Halifax, Saskatoon ou Winnipeg? Peut-être bien…
À cet effet, c’est dans la capitale manitobaine que l’on peut découvrir un mouvement cinématographique novateur, isolé et marginal, le « Winnipeg Brutalism », lancé par un jeune réalisateur de l’endroit Ryan McKenna à l’occasion de la sortie de son long métrage The First Winter (inédit au Québec, mais présenté voilà deux ans au FNC de Montréal). Voici les sept règles du manifeste, aux couleurs très locales, tel que décrites par McKenna sur son site Internet :
1. Winnipeg Brutalism is a new cinema of Winnipeg. Stark and austere, it is like a Québec cinema, but with jokes.
2. Winnipeg Brutalism is a cinema of winter and of darkness. Exterior shots are to be filmed only between the Winter Solstice and the Vernal Equinox, and only at night.
3. Winnipeg Brutalism is very strict. Each Brutalist film must contain at least one (unfaked) blizzard.
4. Winnipeg Brutalism is an urban nightmare. The Brutalist film allows no beauty upon the Winnipeg landscape. The streets are empty, the buildings are abandoned, human drama is devoid of any warmth or compassion.
5. Winnipeg Brutalism is an outsider cinema. It must be pulled out of your own blood, uncontaminated by the neutering dogma of any Canadian “Institutes” or “Film Centres” or any other forced sterilization campaigns.
6. Winnipeg Brutalism becomes more brutal still if the director is kept in a perpetual state of discouragement. Living in squalour, avoiding sunlight, and eating only processed foods will only heighten the success of a Brutalist film production.
7. Winnipeg Brutalism is stark and it is real. The viewer must be Brutally exposed to the elements – there can be no reassuring lambs wool of artifice, formalism or phantasmagoria.
Si, pour l’instant, on ne doit pas prendre trop au sérieux ce manifeste, il a au moins l’audace de susciter la curiosité, de lancer une initiative et de concrétiser une démarche qui pourrait réveiller la créativité cinématographique encore trop marginale à l’ouest de Gatineau. L’exemple n’est pas sans rappeler celui du Dogme95 initié au Danemark par plusieurs réalisateurs de l’endroit, dont Lars von Trier et Thomas Vinterberg et qui avec Festen, présenté à Cannes en 1998, donnait le coup d’envoi de leurs préceptes mis au grand écran. D’ailleurs, McKenna avoue être influencé par les films scandinaves, surtout ceux de Kaurismäki.
Bref, ce printemps, à Cannes, on surveillera attentivement l’accueil réservé aux films canadiens, ceux des vétérans Egoyan et Cronenberg et ceux des jeunes loups, Dolan et Lafleur. Il faudra aussi garder un œil amusé et curieux sur Winnipeg, là où les nuits brutales peuvent être longues et froides, des nuits qui pourraient voir naître l’avenir du cinéma canadien, hors Québec, qui sait ?