Récemment, Robin Aubert a écrit un texte accessible à tous sur sa page Facebook qui revenait sur la belle victoire des Affamés au plus récent Gala Québec Cinéma (huit prix Iris gagnés au total dont celui du meilleur film) et aussi, en parallèle, sur l’absence de copie DVD/Blu-ray de son film au pays. Le distributeur, Les Films Séville (et Les Films Christal), n’avait pas jugé bon de sortir sur ces supports le long métrage, jugeant que les résultats moyens des Affamés en salle (20 000 spectateurs au total) ne justifiaient pas l’investissement. Depuis la sortie du réalisateur, un revirement de situation est survenu. Grâce à l’aide de Renaud-Bray et d’Archambault, la production sortira finalement en version physique dans notre province le 31 juillet prochain. Mais l’histoire ne s’arrête pas là ou du moins, elle a de quoi faire réfléchir.
Tout d’abord, soulignons qu’après son passage en salle dans les grands centres au Québec, Les Affamés a vu ses droits de distribution à l’international rachetés par Netflix au début de 2018. Le film se retrouve donc sur cette plateforme depuis le mois de mars, et ce, dans plusieurs pays, ce qui lui donne une fort belle visibilité à l’échelle mondiale surtout pour un long métrage de cinéma de genre. Au pays, la diffusion canadienne était déjà conclue et rattachée à certains gros joueurs locaux. On pouvait donc depuis peu le voir sur Itunes ou Illico. C’est en 2019 que Netflix récupèrera les droits pour le territoire canadien et pourra l’offrir à ses abonnés locaux. En marge de ces négociations, on apprenait aussi qu’un distributeur espagnol avait acheté les droits des Affamés pour le territoire hispanique, décidant du même coup de l’offrir en DVD/Blu-ray à la fin du mois d’avril. Les Espagnols seraient-ils plus amateurs d’histoires de zombies que les Québécois ou encore davantage collectionneurs de films?
Financé principalement par Téléfilm Canada et la SODEC, Les Affamés a profité d’un budget (moyen pour un film québécois) de 3,7 millions. L’absence d’une sortie en DVD/Blu-ray était somme toute étonnante puisqu’un tel financement à la production devrait logiquement inclure une diffusion large et multiple (en vidéo sur demande et en format physique) une fois la vie du film en salle terminée. Mais en 2018, pour rentabiliser une production de DVD/Blu-ray, encore faut-il en vendre un minimum de copies. Depuis quelques années, les ventes sont en chute libre et les clubs vidéo se font rares. Il reste le marché des collectionneurs, quelques clubs vidéo qui font presque office de musées du cinéma et évidemment le réseau des bibliothèques scolaires et municipales. La tendance aux copies virtuelles, à la location en vidéo sur demande et au visionnement en ligne semble irréversible et inévitablement moins coûteuse pour un distributeur québécois.
On ne sait trop ce que l’avenir nous réserve tellement la technologie et les coutumes de consommation du cinéma et de la musique changent rapidement depuis dix ans. Cela dit, le pire serait de croire que tout ce phénomène est sans conséquence. Que l’on finance un long métrage au Québec pour 3, 4 ou 5 millions de dollars et que ce film, après sa sortie en salle, puisse disparaître sans laisser de trace a de quoi nous alarmer. Si Illico ou Super Écran ne s’y intéressent pas, ce n’est pas Netflix qui va sentir le besoin de voler au secours de petites productions québécoises en manque de visibilité et de plateformes. La plus grande des erreurs pour les milliers d’abonnés de Netflix est présentement de croire qu’ils ont accès à tout le cinéma du monde occidental. Le « catalogue Netflix » est au cinéma ce que les étalages de livres chez Costco sont à la littérature mondiale. Il se distribue au Québec près de 400 films annuellement dans nos salles : des œuvres du Québec (environ 60), des États-Unis (environ 250) et le reste provenant du reste de la planète, surtout de l’Europe. Combien de ces films peut-on voir sur Netflix une fois leur vie en salle terminée? Très peu!
Les questions fusent présentement et concernent autant les producteurs que les distributeurs, les diffuseurs et les subventionneurs. Le devoir d’offrir une sorte de pérennité aux longs métrages québécois, une accessibilité pour le public d’ici de voir ce qui se fait en cinéma québécois est primordial. Produire des dizaines de longs étages québécois, oui, bien sûr, mais les distribuer et les diffuser au plus grand nombre, les rendre accessibles, c’est capital. Le dossier est à suivre, et ce, peu importe le support.