Éric Falardeau peut avoir l’air d’un cas à part dans le milieu du cinéma au Québec, lui qui navigue entre la réalisation, l’écriture et l’enseignement. La raison, sa curiosité maladive et son intérêt pointu pour les courants marginaux qui constituent aux yeux de plusieurs le côté plus scabreux de l’univers du septième art. La spécialité d’Éric Falardeau, c’est l’horreur, les effets spéciaux, l’érotisme, la porno et… les fluides. C’est d’ailleurs ce dernier élément qui pique aujourd’hui notre curiosité, car il est au cœur de son nouvel essai intitulé Le Corps souillé : gore, pornographie et fluides corporels, un livre paru récemment aux éditions L’instant même dans la collection « L’instant ciné ». Entrevue avec un passionné d’un cinéma de l’extrême.
Pierre Blais : Éric, comment vous présentez-vous?
Éric Falardeau : Eh bien, je suis avant tout un réalisateur. En 2013, j’ai réalisé un long métrage d’horreur québécois, Thanatomorphose, film qui a fait plusieurs festivals. Depuis, j’ai publié trois livres, l’un, collectif, sur le phénomène Bleu Nuit de TQS, un second sur l’histoire des effets spéciaux au Québec et récemment Le Corps souillé. Finalement, je suis aussi chargé de cours en cinéma, notamment à l’UQAM.
PB : Votre plus récent ouvrage provient d’un travail de recherche qui est devenu votre mémoire de maîtrise à l’Université de Montréal. L’idée principale qui gravite autour des fluides corporels au cinéma, comment vous est-elle venue?
ÉF : Je suis fan des films qui reposent sur l’utilisation de l’image et du son plutôt que sur les dialogues. J’aime donc beaucoup le cinéma d’horreur et le cinéma pornographique qui misent énormément là-dessus. On tend à oublier le pouvoir d’émerveillement de l’image en mouvement et dans l’horreur et le porno, on touche beaucoup à ça. Inévitablement, mon discours s’élabore autour du concept d’Éros et Thanatos. Ce sont les deux côtés d’une même médaille pour moi.
PB : On touche aux tabous quand on écrit sur l’horreur gore et la porno, sur le sang et le sperme, sur les fluides corporels qui éclaboussent dans ces films, non?
ÉF : Absolument, car on aborde des sujets qui touchent la morale. Avec ces genres cinématographiques, on se retrouve très loin de tout ce qui codifie l’industrie mainstream du grand écran. Le gore et la porno, ce sont des phénomènes qui paraissent irrationnels, car c’est du cinéma qui nous bouscule, qui provoque de fortes réactions chez le spectateur, qui nous met en contact avec nos pulsions les plus primaires et tout ça peut prendre une forme cathartique provoquée par la violence et le sexe et leur représentation à l’écran. Les fluides vus dans ces films, c’est ce qu’il y a de plus trivial dans notre rapport au corps humain et c’est ce qui me fascine.
PB : Le cinéma gore montre beaucoup du sang, d’entrailles et le porno, lui, utilise le sperme comme aboutissement d’une relation sexuelle explicite. On peut penser que c’est du cinéma qui montre beaucoup mais qui raconte peu, non?
ÉF : Oui, ce n’est pas le propre de ces productions de raconter une histoire ou du moins d’en faire une priorité. On veut nous montrer des corps qui se rencontrent et le parallèle est le gore et la porno dans leur mécanisme porte à réflexion. En apparence, on trouve tout ça très limité et pourtant quand on s’attarde aux codes du gore et du porno, on découvre des éléments captivants dont principalement l’importance de la mise en images des fluides corporels à l’écran. Le paradoxe vient aussi de la façon dont on regarde le cinéma porno et gore, on aime les voir comme des branches très marginales du cinéma en niant par la bande leur grande popularité.
PB : Votre livre souligne avec raison l’importance des films du cinéaste canadien David Cronenberg dans votre recherche. Les effets gore sont nombreux dans plusieurs de ses films et surtout, le corps est au cœur de plusieurs de ses œuvres.
ÉF : Oui, le genre qualifié de body horror se définit grâce à son cinéma. Son importance est immense, pensons à Rabid, Videodrome, The Fly, Crash, eXistenZ. Cronenberg parle constamment de nos pulsions, des dérèglements du corps, de l’opposition entre sexualité et violence. Il est aussi très fort dans son approche psychanalytique, surtout dans ses derniers films. Ce qu’il nous montre, c’est très esthétique, c’est de l’entomologie. Il a une signature et une intelligence qui, au fil du temps, ont forgé une aura de légitimité autour de ses œuvres.
PB : Vous-même, Éric, trouve-t-on votre discours légitime ou tend-on à lever le nez sur vos travaux, votre discours sur le gore et la porno?
ÉF : Je pense que je réussis à susciter au moins la curiosité avec mes livres, mais on me demande encore souvent pourquoi je m’intéresse à ça. J’aimerais qu’on intègre mieux l’horreur et la porno dans les grands courants cinématographiques. Oui, le porno a ses mauvais côté, mais il est là pour rester, alors parlons-en! Heureusement, les choses changent petit à petit et ça nous permettra de mieux comprendre le phénomène, de discuter intelligemment sur ces genres dans les années à venir.
PB : Que doit-on retenir de votre ouvrage hormis l’analyse surprenante autour des fluides et les liens qui unissent le gore et la porno à travers des œuvres, des créateurs et des courants?
ÉF : Je dirais qu’il faut retenir que le gore et la porno, ce sont des phénomènes existentialistes. Ça nous amène à nous questionner sur ce qu’on aime ou non, c’est un miroir et parfois le reflet qu’il nous renvoie n’est pas rose, et cette réflexion est pour moi des plus intéressantes.
PB : Votre prochain livre, à quoi s’intéressera-t-il?
ÉF : Je suis en train de préparer avec deux amies un ouvrage sur le cinéma porno québécois. La porno légale made in Québec est arrivée en 1994 environ. Nous voulons réfléchir dans ce prochain essai à l’aspect identitaire du porno québécois. J’ai aussi un projet qui touche à la musique au cinéma. Niveau réalisation, je viens de tourner un vidéoclip et je suis en développement de mon 2e long métrage ! »