Sympathie pour le diable a fait le tour du monde à l’automne dans différents festivals avant de finalement prendre l’affiche au Québec et en France à la fin du mois de novembre. Le film était annoncé depuis plusieurs années et sa production s’est éternisée pour différentes raisons. À l’approche du lancement du film, son réalisateur, le Québécois Guillaume de Fontenay, nous a parlé avec fébrilité et passion de son premier long métrage de fiction. Au téléphone, avec un timbre de voix rappelant celui de Serge Denoncourt, le cinéaste s’est confié en long et en large sur la conception de ce drame bouleversant qui revient sur le siège sanglant de Sarajevo en 1992.
PB : Quand j’ai lu votre nom associé à la réalisation du film, je croyais que vous étiez Français alors que, bien au contraire, vous naviguez depuis longtemps dans le milieu de la pub au Québec, non?
GDF: Oui, effectivement. Je viens du milieu du théâtre au départ et je me suis promené beaucoup en Europe. Puis, la pub est arrivée dans ma vie. J’étais directeur artistique à la base, puis je suis devenu réalisateur de publicités. J’ai travaillé avec Jean-Marc Vallée et Denis Villeneuve dans ce milieu durant des années. Ça me permettait de vivre de mon métier et d’apprendre à être à un technicien potable, disons.
PB : Paul Marchand, l’auteur du livre qui a inspiré votre film est aujourd’hui décédé. Il a fait beaucoup parler de lui au Québec dans les années 90. Déjà à l’époque, on parlait d’adapter Sympathie pour le diable au grand écran. Pour y parvenir, ça semble avoir pris une éternité.
GDF : Oui!! Ça a été une longue bataille. En 1997, j’ai lu son ouvrage et je voulais en faire un show de théâtre avec Paul justement. Il était à Beyrouth à ce moment-là et revenait de Sarajevo. Il avait connu la guerre civile et il avait vu des choses atroces en exerçant son métier de reporter de guerre. Paul est un personnage au départ antipathique et pourtant, rapidement, on pouvait déceler chez lui sa fragilité, sa grande sensibilité. C’était un humaniste révolté, un homme d’une grande intelligence. En 2005, j’ai finalement présenté le projet de film à la productrice Nicole Robert. Le scénario s’est bouclé tout juste avant son suicide en 2009. Peu avant son décès, Paul m’a dit : « Fais un bon film ». Ensuite, il est entré en psychiatrie et s’est donné la mort. La vie de Paul Marchand en entier est un film de fiction en fait. Cet homme était marqué fortement par ses années à couvrir des conflits armés. Il se brouillait avec tout le monde, il sabotait beaucoup de choses. C’était pour lui une sorte de moyen de défense. Il faut se rappeler que ce grand escogriffe de 6 pieds 4 pouces est parti au front comme journaliste, au Liban, alors qu’il n’avait que 23 ans. Des années plus tard, dans ses reportages, sa révolte face à la communauté internationale qui ne foutait rien pour empêcher la tuerie de Sarajevo était très palpable.
PB : Niels Schneider interprète de façon formidable Paul Marchand dans le film. Il fallait qu’il soit à la fois détestable et charismatique. Pour vous, il était le « parfait Paul »?
GDF : Absolument. Dès les auditions, Niels s’est imposé. Il a un talent incroyable. L’un de ses frères est mort dans un violent accident de voiture donc il y a cette fêlure chez lui, cette fragilité et aussi en même temps un côté poseur et grande gueule comme Paul Marchand.
PB: Votre film résume bien toute la folie de la guerre de Sarajevo sans chercher à trouver des coupables.
GDF : Tout à fait. C’est une ville qui a été bombardée de façon intensive durant des mois. 330 obus par jour étaient envoyés sur les édifices. 12 000 morts, 50 000 blessés, c’est ça le bilan morbide pour cette ville olympique autrefois magnifique. C’est une cité de la grandeur de Québec. Les Serbes bombardaient les Bosniaques et les Croates, mais aussi les Serbes qui vivaient sur place. C’est totalement fou!
PB : On le tourne comment ce long métrage afin, qu’à l’écran, il soit le plus crédible et réaliste possible?
GDF : Premièrement, on a tout tourné à Sarajevo. Des dizaines d’édifices sont toujours démolis. On a fait un petit peu de postproduction pour le Holiday Inn et c’est presque tout. Le reste, c’est Sarajevo aujourd’hui, inchangée, une ville meurtrie avec les cicatrices du carnage encore bien visibles. On a abandonné cette cité, on a abandonné la Bosnie. Sur place, malgré quelques suspicions, on a été accueilli avec joie. On a gagné la confiance des locaux en faisant un film sensible à leur réalité. J’étais le seul Québécois sur place. Il y avait quelques Français, mais sinon l’équipe était bosniaque. Et le travail de reproduction pour les décors et les accessoires a été incroyable.
PB : Dans la scène du bar, les gens dansent au son d’Enola Gay du groupe OMD, chanson qu’on entendait aussi dans Valse avec Bachir, un film qui a beaucoup d’affinités avec le vôtre. C’est un hasard?
GDF : Non, le lien est clair, Valse avec Bachir m’a marqué, c’est un film très profond qui parlait de la guerre du Liban, du choc post-traumatique et des problèmes de mémoire. Le mien est lié aux souvenirs de Paul Marchand, à sa façon de voir les choses et de croiser son point de vue avec ceux des autres journalistes qui étaient eux aussi à ses côtés à Sarajevo à l’époque. C’est assez similaire avec le film d’animation d’Ari Folman.
PB : Vous avez filmé en format 4/3 plutôt qu’en 16/9, le format habituel du cinéma. Pourquoi?
GDF : C’est parce que je ne voulais pas embellir la guerre, je voulais faire un long métrage immersif pour le spectateur, qu’on accompagne le personnage de Paul sur le terrain. De plus, le 4/3 permettait de respecter le format journalistique de l’époque à la télé.
PB : Quelle est selon vous la plus belle qualité de Sympathie pour le diable?
GDF : C’est mon premier long métrage, mais je crois qu’en ayant œuvré en pub durant des années, on peut voir que j’ai appris à travailler de façon très rigoureuse. En toute humilité, je pense avoir imposé un souci de réalisme qui transpire à l’écran. Le travail de reproduction me satisfait beaucoup. Le film est à la fois radical et très humain. Ça aussi, ça me rend très fier. Parler de ce conflit qui date, c’est aussi parler de ce qui se passe aujourd’hui en Syrie ou encore au Mexique où les meurtres liés au trafic de drogue sont légion. Parce qu’on nage en pleine désinformation médiatique, Sympathie pour le diable est une œuvre essentielle et très actuelle selon, un film qui raisonne sur ce qui se passe dans le monde d’aujourd’hui.