Au dernier Festival de Cannes, le premier long métrage de Ladj Ly, Les Misérables, a reçu un accueil dithyrambique. Dès lors, nous avions hâte de voir ce brûlot qui, lors de sa sortie en France, a été accueilli aussi chaudement par la presse que le grand public.
Le film, qui représente cette année la France aux Oscars, relate une journée dans la vie de trois policiers chargés de patrouiller et de maintenir l’ordre à Montfermeil, un quartier populaire en banlieue de Paris. Dans ce lieu, les tensions sont fortes entre les différents clans locaux. Là-bas, la population est jeune et bigarrée, souvent issue de l’immigration et la petite criminalité fait rage au quotidien.
Ce premier long métrage rappelle inévitablement La Haine de Mathieu Kassovitz en mettant en scène trois personnages principaux. Ici, ce sont trois policiers, l’un est une tête brûlée autoritaire (Chris), l’autre un natif de l’endroit (Gwada) et enfin il y a Stéphane, joué par Damien Bonnard, le petit nouveau qui ne connaît rien à cette dure réalité de banlieue. Damien Bonnard, vu récemment dans Sauver ou périr et dans En liberté, était justement de passage au Québec pour parler de ce formidable long métrage. Voici ce qu’il avait à nous dire.
Le Clap : Damien, étiez-vous déjà venu au Québec avant?
Damien Bonnard : Oui, c’est ma troisième visite chez vous. Je suis allé entre autres en Abitibi pour leur festival de cinéma. Avant ça, en 2005, j’avais résidé un an au Nouveau-Brunswick. Je suis arrivé là-bas avec 150 $ en poche. Je n’étais pas comédien à l’époque. J’ai appris sur place à ramasser des têtes de violon, à pêcher. J’ai rencontré des gens dont plusieurs vivent avec peu de moyens, j’ai vraiment découvert les Maritimes, Ça a été un peu un voyage initiatique pour moi.
LC : Les Misérables est un film dont on se souvient. Vous attendiez-vous à un tel succès dès sa première présentation à Cannes?
DB : Oui, c’est un film qui secoue. À Cannes, en compagnie de l’équipe, je l’ai découvert en même temps que le public et je vous confirme, c’est un film que personne n’oublie. La forte réaction, cela dit, nous a quand même étonnés. Les Misérables touche les gens peu importe l’endroit où il est projeté. C’est difficile à expliquer. Peut-être parce qu’à notre époque, ce film parle de changer nos jugements, de faire attention aux autres, et ça, on en a tous besoin.
LC : Quelle est l’idée de base qui a mené au long métrage et qui découle d’un court de Ladj Ly, le réalisateur?
DB : Ladj Ly s’est inspiré de sa vie et de celle de gens qu’il connaissait. Voilà quelques années, il a filmé un acte de violence policière et cette bavure où cinq policiers ont été suspendus a servi à nourrir le scénario écrit avec Alexis Manenti qui joue Chris dans le film.
LC : L’incident premier a été filmé avec un cellulaire, je crois. Ici, c’est un drone dirigé par un enfant qui fait office de témoin.
DB : Le drone, c’est l’œil de l’enfant qui le manipule (joué par le fils du réalisateur), mais c’est aussi l’œil du spectateur. On se sent d’autant plus témoin de tout ce qui se passe avec la façon dont Ladj Ly a déployé sa mise en scène.
LC : Le long métrage peut-il s’inscrire dans une vague de changements afin d’améliorer les choses dans la banlieue parisienne?
DB : C’est difficile à dire, mais au moins il suscite une réflexion, voire des débats, ce qui est un bon point de départ. Mais, on avait dit la même chose de La Haine et pourtant, rien n’a changé ou presque. Vous savez, le film s’inscrit dans l’air du temps. On n’a qu’à penser au Joker qui a une parenté d’esprit avec Les Misérables. Dans les deux cas, on parle de violence, de débordements, de ras-le-bol, mais aussi d’espoir.
LC : Le titre fait référence à l’œuvre de Victor Hugo. C’est que le romancier est passé par Montfermeil à l’époque où il écrivait son classique, non?
DB : Oui, c’est là que des rencontres l’ont inspiré pour créer les personnages des Thénardier et de Gavroche. D’ailleurs, si vous me le permettez, il y a une phrase de Hugo dans Les Misérables que j’aimerais citer et qui résume selon moi parfaitement notre film : « La vie, le malheur, l’isolement, l’abandon, la pauvreté, sont des champs de bataille qui ont leurs héros, héros obscurs plus grands parfois que des héros illustres ».