Le film Deux mise sur deux actrices de grand talent, deux actrices septuagénaires, l’une, Barbara Sukowa, qui a connu une belle carrière au cinéma, et l’autre, plus discrète du côté du septième art, Martine Chevallier. Leur talent, elles l’ont mis au service d’un fort beau long métrage, qui représente d’ailleurs la France aux Oscars à titre de Meilleur film international. Mis en scène par Filippo Meneghetti, Deux raconte l’histoire d’un couple de femmes, Nina et Madeleine, amoureuses, qui désirent vivre, voire finir leurs jours ensemble. Voisines de palier, les amantes verront un AVC venir bouleverser leur plan, elles qui vivaient leur amour de façon secrète, sans qu’aucun membre de la famille ne soit au courant. Deux arrive enfin dans nos salles lors de la réouverture des cinémas. Rencontre avec Martine Chevallier, l’interprète de Madeleine.
Le Clap : Martine, votre carrière sur scène est impressionnante, mais vous avez été rare au cinéma, non?
Martine Chevallier : C’est vrai, car je viens du théâtre. J’ai d’ailleurs quitté la Comédie-Française à la fin de l’année 2019. Alors longtemps, j’ai été obligée de refuser les offres à cause de la scène. Je n’avais jamais de congé, vous savez. J’ai pu faire Deux parce que le projet date de 2014 et que nous avons pris le temps de bien faire les choses. Surtout que je suis tombée d’un étage, chez moi, et que j’ai dû être alitée et subir un an et demi de traitement. Ils m’ont attendue pour tourner le film, fort heureusement d’ailleurs.
Le Clap : Comment s’est passée la rencontre avec Barbara Sukowa, une actrice formidable, et le réalisateur?
MC : Barbara, c’est une merveille. On ne se connaissait pas et on s’est marré durant tout le tournage. Filippo Meneghetti, lui, c’est un cinéaste italien qui maintenant habite en France. C’est son premier long métrage, ses courts métrages sont d’ailleurs fort intéressants. Il est un peu fou et très verbomoteur. Bref, c’est un jeune type passionnant et j’ai adoré travailler avec lui.
Le Clap : Le long métrage raconte l’amour saphique de deux septuagénaires, chose encore trop rare à l’écran. Pensez-vous que le grand public est prêt à voir ce genre de film en 2021?
MC : Hum, pour les jeunes, c’est moins évident, l’intérêt ne sera pas là au départ. Mais s’ils voient le film, ils seront touchés. Heureusement, car il faut avouer, encore aujourd’hui en France, chez les jeunes, le machisme et l’homophobie sont hélas toujours bien ancrés. Les gens de mon âge, eux, sont prêts pour voir et ressentir cette histoire. Ils sont sensibles et émus et souvent font des parallèles avec ce que des proches ont vécu.
Le Clap : Avec beaucoup de douceur, le récit est mis en scène pour nous montrer les tabous qui entourent toujours une relation homosexuelle inavouée, surtout qu’ici, votre personnage est vu à travers la lorgnette de l’hétérosexualité normalisée de ses enfants.
MC : Les personnes âgées qui redécouvrent l’amour après la perte de leur conjoint, l’amour avec quelqu’un du même sexe, c’est encore tabou, mais de plus en plus commun. En Italie, la religion est encore très présente, Filippo y a puisé son inspiration d’une vraie histoire. Bref, contraint par le milieu, la morale, les préjugés, c’est difficile de s’extraire de tout ça et de vivre pleinement notre nouvel élan amoureux. Mais là, dans le film, on aborde ce tabou sur le saphisme entre deux femmes âgées du point de vue familial. Le choc, il est là. La peur devient une émotion très dure. L’amour, il faut l’admettre au sens universel. C’est la force du film!
Deux prendra l’affiche en salle au Clap dès la réouverture. Cette entrevue a été réalisée sur invitation, dans le cadre de la 22e édition des Rendez-vous du cinéma d’UniFrance, à Paris.