Le film de Jean-Paul Salomé, La Daronne, vient de prendre l’affiche au Québec. Dans cette comédie policière, Isabelle Huppert joue le rôle de Patience Portefeux, une traductrice parlant arabe et travaillant pour l’escouade des stupéfiants de la police. Patience profitera de son talent d’interprète pour faire un coup d’argent lié à une énorme livraison de drogue. À ses côtés, on retrouve Hippolyte Girardot qui joue Philippe, son amoureux, aussi haut gradé de la brigade. Pour les deux acteurs, il s’agit de retrouvailles, eux qui avaient formé un couple torturé dans Après l’amour de Diane Kurys, sorti en 1991 au Clap. Rencontre avec un acteur talentueux, qui a connu un début de carrière fulgurant, que l’on a un peu perdu de vue, et qu’il fait bon retrouver.
Le Clap : Hippolyte, parlez-moi de votre personnage dans cette transposition d’un récent roman à succès de l’écrivaine Hannelore Cayre.
Hippolyte Girardot : Quand on m’a approché pour jouer le personnage de Philippe, le commissaire de la brigade des stups, je n’avais pas lu le livre, et je préférais ne pas le faire à ce moment. Ça me permettait de partir de zéro, ou du moins, seulement du scénario. Mon personnage, c’est un clown blanc par rapport à Patience jouée par Isabelle. Il est un peu naïf, mais pas trop et il l’aime beaucoup. Cela dit, l’adaptation est très fidèle. L’auteure a d’ailleurs participé au scénario.
Le Clap : Vous connaissiez le réalisateur, Jean-Paul Salomé?
HG : Un peu. Jean-Paul, il est très communicatif. Quand il m’a contacté, je voyais que je correspondais à l’image qu’il se faisait de Philippe. Le rôle du commissaire, c’est d’être l’amoureux de Patience et qu’on sente qu’il est intimidé par elle, comme on tente d’approcher un chat qui souvent possède un caractère imprévisible. C’était chouette à jouer!
Le Clap : Le terme daronne n’est pas très connu, du moins au Québec. On pourrait l’appeler la caïd. En anglais, le titre du film devient Mama Weed. Bref, ça implique un aspect comique, tout comme l’apport exotique de la communauté marocaine et chinoise dans cette histoire rocambolesque.
HG : Oui, et comme cinéphile, je me suis posé la question sur la façon dont on allait montrer ces communautés à l’écran. En France, elles se sont regroupées pour mieux partager leurs cultures, leurs religions, leurs langues et c’est très normal. Dans le film, la filière marocaine, c’est véridique, c’est la plus grande filière de trafic de cannabis. Pour la communauté chinoise, ce qu’il faut savoir, c’est que le 13e arrondissement est devenu leur quartier. Les appartements étaient vides, les fonctionnaires ne voulaient pas y habiter. Ils ont redonné vie à ce coin de Paris. Cette communauté est d’ailleurs originaire d’un seul village chinois, c’est très particulier. Ils vivent dans un système communautaire presque autonome, et ça aussi c’est une réalité très parisienne. Le film ne stigmatise personne selon moi. Le cinéma, même une comédie, doit parler du réel et ne pas nous offrir une vision idyllique de la vie.
Le Clap : Ce film vous permet de retrouver au grand écran Isabelle Huppert à qui vous avez donné la réplique voilà près de 30 ans dans Après l’amour. C’est une pointure Isabelle Huppert.
HG : Oh oui! Après le film de Diane Kurys, on s’est recroisés au hasard, mais sans jamais avoir la chance de rejouer ensemble. La retrouver comme camarade de jeu, c’est un grand plaisir. Son parcours d’actrice est tellement formidable. On pense au plaisir narcissique de se faire filmer, mais celui de retrouver des camarades de jeu, c’est une vraie joie et Isabelle n’a pas changé en 30 ans. Elle est concentrée sur ses scènes, elle maîtrise son jeu parfaitement. On est porté par son talent. Elle pense à la scène dans son ensemble et pas seulement à sa personne devant la caméra. Ses conseils sont aussi fort bienvenus sur un plateau.
Le Clap : La gloire est arrivée pour vous avec Un monde sans pitié en 1989. Les rôles se sont succédé ensuite à vitesse grand V. Vous étiez partout au cinéma. Et puis, vous êtes disparu du radar vers la fin des années 90 et on se demande un peu pourquoi.
HG : C’est vrai, j’ai disparu complètement. Durant cette période, mes choix de carrière étaient douteux, j’ai aussi dit non à des films que j’aurais dû faire. Si on parle de carrière, je crois que je voyais ça comme un jeu sans réelle stratégie. J’ai été paresseux, j’ai galéré pas mal aussi. Après, ça a été dur de remonter la pente. Mais ça m’a fait du bien ce recul. J’ai fait oublier le personnage de trentenaire débonnaire que j’incarnais souvent au cinéma. Je me suis renouvelé, du moins je le crois.
Le Clap : On vous a aussi revu dans des séries internationales comme Patrick Melrose et Occupied. Votre image dégage aujourd’hui une sorte d’autorité politique, policière ou autre, un peu comme Michel Bouquet en plus jeune.
HG : Ah merci. Vous savez, quand les Norvégiens m’invitent en tournage pour Occupied, difficile de dire non. Et quand je me retrouve dans Patrick Melrose avec Irène Jacob et Benedict Cumberbatch, c’est un véritable cadeau pour un acteur.
Le Clap : En terminant, votre fille a suivi vos traces. C’est une actrice bien en vue en France actuellement. A-t-elle profité de vos conseils comme comédienne?
HG : Ana est une enfant de la balle. Elle a donc vu ses parents dans la galère, dans la gloire, sur des plateaux. Elle a saisi rapidement la fragilité de ce métier. Elle ne se fait pas d’illusion et son image, si elle passe bien à la caméra, elle sait qu’elle ne la contrôle pas totalement. Mais pour le reste, elle est éclairée et très lucide. Sa meilleure éducation, ça a été d’être témoin, très jeune, du métier que sa mère et moi pratiquions. (N.D.L.R. la mère d’Ana est l’actrice Isabel Otero)
En bonus, voici en résumé ce qu’Isabelle Huppert et le réalisateur Jean-Paul Salomé ont à dire de La Daronne.
Isabelle Huppert : C’est un film qui a beaucoup d’humour, mais c’est surtout un beau portrait de femme qui touche aussi au drame sociologique, à ce qui se passe dans un quartier de Paris. Elle travaille pour la police, mais on verra vite qu’avant tout, c’est une femme libre. Dans tout film comique, il y a du tragique et vice versa. Dans ma carrière, j’aime alterner les rôles dramatiques et plus comiques, bref me retrouver dans des genres très différents d’un projet à l’autre.
Jean-Paul Salomé : L’intérêt du film, c’est qu’on ne peut dire comment cette histoire va se terminer tellement Patience est imprévisible. Le roman est formidable, car il montre le Paris d’aujourd’hui à travers une pluralité d’origines, dont la communauté chinoise. Ça nourrissait le polar. Quand on m’a proposé de faire le film, j’ai pensé tout de suite à Isabelle pour le rôle de Patience. Mais même avec la présence d’Isabelle au générique, c’est difficile de monter financièrement un film. Cette comédie sort un peu du cadre habituel de la comédie française très légère et basée sur une recette éprouvée.
La Daronne prend l’affiche en salle au Clap dès le 5 mars. Cette entrevue a été réalisée sur invitation, dans le cadre de la 22e édition des Rendez-vous du cinéma d’UniFrance 2020, à Paris.