L’Angle mort est un film fort singulier. Sur la forme, c’est un long métrage centré sur un homme, Dominick, qui a un superpouvoir, celui de se rendre invisible. Sauf que sur le fond, le récit est avant tout un drame psychologique intimiste, car Dominick garde son secret et hésite à se servir de son invisibilité à outrance. Même sa femme, jouée par Isabelle Carré, n’est au courant de rien. Mais le jour où il rencontre une femme atteinte de cécité et qu’un vieil ami ayant le même pouvoir refait surface dans sa vie, tout se complique!
Ce drame fantastique, signé par deux réalisateurs qui collaborent ensemble depuis 1996. est basé sur une idée de l’auteur Emmanuel Carrère. Les cinéastes Patrick-Mario Bernard et Pierre Trividic ont bien voulu nous donner des détails sur leur tout nouveau long métrage intitulé L’Angle mort.
Le Clap : Ce projet de film a commencé voilà plus de dix ans. Ça a été long avant de concrétiser la production, non?
Patrick-Mario Bernard et Pierre Trividic : Oui, ça peut paraître long, mais ça s’explique par la recherche du financement et le long processus d’écriture, car nous n’étions pas toujours satisfaits du résultat. En même temps, tous les deux, nous avons travaillé sur plusieurs autres projets qui nous tenaient aussi à cœur.
Le Clap : Votre film touche à l’univers des superhéros sans en être un véritablement, un peu comme le long métrage fantastique Vincent n’a pas d’écailles. Est-ce difficile de vendre un concept comme le vôtre, sachant qu’il ne correspond pas aux critères très américains du personnage aux superpouvoirs en mission?
PMB et PT : Forcément, car notre idée n’était pas de faire un film spectaculaire mais bien de créer une œuvre très européenne qui respecterait les spectateurs, sans les mépriser, sans les duper. Aujourd’hui, Hollywood nous vend la rentabilité d’un don pour sauver l’univers. Nous, on va à contresens. Est-ce que la force est une vertu? Est-ce qu’un superpouvoir a une valeur marchande? Dominick, notre personnage principal, ne tente pas de rentabiliser son don. On est complètement ailleurs.
Le Clap : Hormis Isaac de Bankolé et Omar Sy, peu d’acteurs noirs trouvent leurs places dans le cinéma français. D’où vient Jean-Christophe Folly qui incarne Dominick?
PMB et PT : Pour nous, le personnage a toujours été noir, et ce, dès le départ dans le scénario. Et on nous demandait constamment à sa lecture pourquoi il est noir? On répondait parce que ses parents sont noirs. Les acteurs de couleur jouent souvent des rôles stéréotypés. Nous, on voulait aller à l’encontre de tout ça. Avec les Maghrébins, le travail est fait, on ne les regarde plus comme des acteurs issus de l’immigration. Jean-Christophe, on le voulait comme acteur, mais en le choisissant, même si on respectait le scénario, inévitablement, on faisait un choix un peu politique. Notre film porte sur le temps qui passe, les choses qui s’en vont. C’est ça qu’on voulait aborder, mais avec un petit côté ludique, soit un pouvoir fantastique. Que le personnage soit noir, ce n’est qu’une caractéristique parmi d’autres.
Le Clap : Le résultat est tout à fait singulier en tout cas.
PMB et PT : Oui, et pourtant notre film est construit de façon très simple. Un peu à la manière d’une partition musicale, si votre oreille est fine, vous allez entendre les différents instruments qui vous amènent sur différentes pistes. Nos personnages, par exemple, sont très différents les uns des autres par leurs caractères, le milieu d’où ils viennent. De les rassembler, ça crée évidemment un arc narratif. L’originalité de notre récit, face aux conventions, c’est de raconter la fin du superpouvoir du héros, son crépuscule. La ligne de conflit, elle est dans le combat intérieur qui mine Dominick. Cette approche nous paraît essentielle afin d’offrir un film original qui saura étonner les cinéphiles.
L’Angle mort prendra l’affiche en salle au Clap le 21 août. Cette entrevue a été réalisée sur invitation, dans le cadre de la 22e édition des Rendez-vous du cinéma d’UniFrance 2020, à Paris.