Le réalisateur français Pierre Pinaud a passé une partie de son enfance dans le jardin fleuri de ses grands-parents. Pour son deuxième long métrage, il avait envie de mettre en scène ce décor mais en abordant la culture de la rose artisanale qui possède une expertise bien française, tout aussi relevée que celle de la gastronomie de son pays. Pour réaliser le tout, il est allé chercher une valeur sûre du cinéma national, Catherine Frot.
Dans La Fine Fleur, l’actrice campe le rôle d’Ève Vernet, une créatrice de roses qui conçoit de nouvelles variétés et qui participe vigoureusement aux concours annuels visant à récompenser les plus belles fleurs au monde. Mais un féroce concurrent veut racheter son entreprise. Pour éviter ce drame, Ève engage des employés en réinsertion en milieu de travail qui n’ont aucunement le pouce vert. Pour mieux comprendre les ressorts de cette comédie dramatique ensoleillée, rencontre avec le cinéaste et son actrice, devenus complices de plateau.
Le Clap : Catherine, Pierre a pensé à vous dès le départ pour interpréter Ève, cette femme d’affaires déterminée et passionnée par les roses. Que connaissiez-vous de cet univers?
Catherine Frot : Bien, il a fallu trouver la bonne note, car je ne connaissais pas grand-chose à ça. Je suis plutôt muguet d’ailleurs. Alors j’ai été à la rencontre d’une professionnelle pour qu’elle m’apprenne les gestes lorsqu’on cueille et qu’on soigne les roses. Il fallait que tout soit naturel à l’écran afin de créer l’illusion. La manipulation des roses, c’est précis. Je m’étais investie tout autant en cuisine dans Les Saveurs du palais ou pour le piano dans La Tourneuse de pages, voire chanter juste assez faux dans Marguerite (rires)!
Pierre Pinaud : De mon côté, en choisissant Catherine pour son talent et son élégance, c’était pour mieux démontrer le savoir-faire typiquement français dans le milieu de la rose. Catherine a, dans sa façon de parler et de jouer, cette graine de folie qui convenait parfaitement à son personnage. J’ai aussi été chanceux, car les valeurs véhiculées dans le scénario lui convenaient parfaitement. Mon film, c’est la lutte contre la production industrielle des roses en provenance de Chine et de Roumanie qui, à moindre coût, menace tout l’aspect artisanal de cette culture qui doit être préservée. Le défi, c’était de montrer en 90 minutes toutes les étapes de la production de cette fleur qui s’étend sur une année. Il fallait donc donner du rythme et une certaine modernité à l’ensemble.
Le Clap : Catherine, comment avez-vous trouvé le bon ton pour personnifier Ève Vernet?
Catherine Frot : Je n’ai pas de méthode de travail. Pour tous mes rôles, il y a des ingrédients dont il faut tenir compte, s’en servir adéquatement, comme les vêtements, l’attitude de base du personnage dans le scénario. Je suis partie de ça. L’apparence physique, son allure garçonne avec les vestes de son père, ses bottes, sa pipe et une féminité à l’ancienne avec les lavallières et les chemisiers. Il y a quelque chose de très anglo-saxon chez Ève et dans La Fine Fleur. On m’a même fait remarquer que j’avais quelque chose de Judy Dench dans le film, et c’est un fort beau compliment.
Pierre Pinaud : Pour moi aussi l’influence anglo-saxonne a été importante, mais à un autre niveau complètement. En insérant des travailleurs en réinsertion, ça me permettait de lancer un message ayant une portée plus sociale. J’avais comme référence les oeuvres de Ken Loach pour l’acuité qu’il a pour examiner les enjeux sociaux, un sens du groupe pouvant mêler réalisme et comédie de fiction. Il y a des gens en France sans emploi parce qu’ils ont fait des conneries et aussi ceux qui, à 50 ans, ne se trouvent plus d’emplois stables. Ils ont besoin d’aide. Il faut leur donner une visibilité.
Le Clap : Depuis plus de vingt ans, on a l’impression Catherine que vous êtes devenue une figure importante et toujours fort présente dans le paysage du cinéma français. Est-ce une image ou une perception juste à votre avis?
Catherine Frot : On a souvent l’impression que j’enchaîne les films coup sur coup, mais en fait pas tant que ça. C’est un concours de circonstances lorsque plusieurs longs métrages prennent l’affiche dans une même année. Durant la pandémie, je n’ai pas tourné. Ma réalité, c’est que je travaille normalement au maximum six mois par année. Et heureusement, je n’appartiens pas aux plateformes, mais au cinéma. Les plateformes ne me proposent rien et je ne les regarde pas non plus. Elles sont surpuissantes, surdimensionnées, voire dangereuses, tellement elles s’enrichissent lors d’un confinement. Il y a une injustice à laquelle il faut s’attaquer et qu’il y ait une meilleure répartition des redevances. Mais bref, avec le cinéma, je suis davantage connue qu’avec le théâtre, du moins aux yeux du grand public. J’ai aussi eu la chance de faire depuis 25 ans des films qui marchent, intelligents, qui plaisent au public sans que ça ne soit des films débiles. Ça, c’est ma plus grande satisfaction.
Cette entrevue a été réalisée sur invitation, dans le cadre de la 22e édition des Rendez-vous du cinéma d’UniFrance 2020, à Paris.