Avec Profession du père, le réalisateur Jean-Pierre Améris nous plonge dans les années 60, en France, nous faisant devenir les témoins de l’étrange quotidien d’Émile, un enfant de douze ans obnubilé par les histoires abracadabrantes de son père, un être narcissique et excentrique joué par un Benoît Poelvoorde en grande forme. Ce fabulateur et mythomane colérique s’applique à imposer une autorité toxique auprès de son fils et de son épouse. Peu à peu, ce jeu de dupes aura des conséquences qui iront bien au-delà du cadre familial. Aux côtés de Poelvoorde, Jules Lefebvre et Audrey Dana incarnent Émile et sa mère dans ce qu’on pourrait qualifier de conte cruel. Le cinéaste nous donne des détails sur la conception et le tournage de Profession du père, film qui prendra l’affiche le 12 novembre.
Le Clap : Votre film est l’adaptation du roman du même titre publié en 2015 par Sorj Chalandon. Qu’est-ce qui vous a intéressé dans ce livre pour vouloir en faire l’adaptation?
Jean-Pierre Améris : J’ai toujours aimé les romans de Sorj Chalandon qui, il faut le rappeler, est un ancien reporter de guerre. Il aime la mystification et avec Profession du père, il racontait son enfance auprès d’un père totalement mythomane. En lisant ce livre, j’ai senti une proximité immédiate avec ce qu’il avait vécu et l’ambiance familiale tendue de ma propre enfance dans les années 60. Comme beaucoup d’enfants, Chalandon et moi avons vécu l’angoisse du retour à la maison liée à cette tension violente permanente qui provenait d’un père autoritaire et dictatorial. Bref, j’ai rencontré Sorj pour lui faire part de ma volonté d’adapter son roman, d’en faire un film, et il m’a encouragé à y intégrer mes propres souvenirs. Le film s’inspire donc et du roman et de ma jeunesse. D’ailleurs, en voyant le résultat, Sorj m’a avoué qu’à l’écran, c’était vraiment plus mes parents que les siens qui prenaient vie, surtout pour le personnage de la mère qui console son fils tout en étant terrorisée. Cela dit, mon film va au-delà des violences physiques envers un enfant, on est plus dans la folie psychologique. La névrose de nos parents n’est pas la nôtre. Les enfants sont des héros pour survivre aux maux de l’enfance, la violence parentale ou celle du milieu scolaire.
Le Clap : Vous dirigez pour une troisième fois Benoît Poelvoorde. Cette nouvelle collaboration devait être naturelle.
JPA : Oui, tout à fait. J’ai beaucoup d’admiration et d’affection pour Benoît. On a une grande confiance mutuelle depuis qu’on a tourné ensemble Les Émotifs anonymes. Il avait été merveilleux sur le plateau même s’il est, comme plusieurs comédiens, exubérant et qu’il parle fort. Il sait que j’aime chez lui sa façon de jouer un être plus fragile ou encore plus sombre. Pour son rôle dans Profession du père, je pensais à une image paternelle me rappelant celle d’Alberto Sordi et de Vittorio Gassman, ces grands acteurs italiens. Poelvoorde a ça en lui, cette grande vérité et ce sens du comique à l’italienne. Mais pour ne pas abîmer son image, son agent lui déconseillait d’accepter ce rôle de mythomane violent et raciste. Benoît a quand même foncé tête première. Il joue admirablement ce père, proche du mien, un tyran domestique qui humiliait ma mère et qui en voulait au monde entier. La grandeur des acteurs et des actrices, c’est d’embrasser la noirceur humaine. Benoît a le talent pour incarner de la meilleure des façons un personnage aussi horrible qu’il soit.
Le Clap : Votre long métrage adopte la forme d’un conte cruel.
JPA : Oui, car je voulais montrer le point de vue de l’enfant vis-à-vis du père. Mais ce n’est pas un règlement de comptes, c’est fait avec amour. Quand on se lance dans un film avec un enfant comme personnage principal, il faut dénicher le jeune acteur qui réussira à trouver un écho dans ce rôle. Jules Lefebvre, qui était déjà très bon dans Duelles, m’a épaté lors de notre rencontre. Lors des essais, il était d’une telle vivacité devant la caméra, malin, joyeux et curieux à la fois. Mon travail de metteur en scène, c’était de bien le diriger. Avec un Jules fort à l’aise dans le rôle d’Émile, j’ai pu faire le film à hauteur d’enfant. C’était essentiel de raconter les choses selon la vision qu’a son personnage de la réalité.
Le Clap : Votre film reste en tête. On y repense longtemps, car ça demeure troublant comme histoire, comme aliénation familiale.
JPA : Et bien merci! J’ai reçu bien des commentaires en ce sens. Les spectateurs me disent qu’ils se reconnaissent soit dans la mère, le père ou l’enfant. Ce récit, ça touche à quelque chose d’assez émotif pour l’ensemble des gens qui voient le film.
Cette entrevue a été réalisée sur invitation, dans le cadre de la 22e édition des Rendez-vous du cinéma d’UniFrance 2020, à Paris.