Le réalisateur de Québec David Nadeau Bernatchez lance en salle, ce mois-ci, un premier long métrage documentaire intitulé Rumba Rules, nouvelles généalogies. Tourné à Kinshasa, en plein coeur de la République démocratique du Congo (anciennement appelée le Zaïre et à ne pas confondre avec la République du Congo aussi appelée Congo-Brazzaville), le film, coréalisé avec Sammy Bajoli, nous transporte dans l’univers musical de la rumba et de ses chanteurs, musiciens et danseurs congolais dont Brigade Sarbati. Avec fierté, le cinéaste voit actuellement son documentaire faire le tour du monde dans les différents festivals et dépeint la genèse de cette production dépaysante.
Le Clap : David, votre fascination pour le continent africain et plus particulièrement pour la République démocratique du Congo, ça ne date pas d’hier?
David N. Bernatchez : Effectivement. Ça fait depuis 2004 que je me rends là-bas et que j’y travaille sur différents projets. À l’époque, j’y étais allé pour les études en accompagnant mon directeur de maîtrise. Finalement, j’y suis resté plusieurs mois. Cette expérience m’a totalement chambardé autant d’un point de vue culturel que musical. Ça m’a transformé et j’ai poussé la plongée jusqu’au doctorat sur la musique congolaise urbaine, dont la rumba, son parcours de l’Afrique jusqu’aux Antilles à travers les esclaves jusqu’à son retour en Afrique dans les années 50. C’était fascinant de voir comment les Congolais l’ont fait évoluer et l’ont transmise au fil des récentes générations.
Le Clap : Au coeur du film, à travers de multiples personnages ancrés dans le milieu musical de Kinshasa, il y a Brigade Sarbati, un chanteur populaire qui y dirige un orchestre de musiciens et de danseuses. Avec lui et ses chansons, on part à la découverte de la scène locale. C’est le but premier du film?
DNB : Oui, il y avait la volonté de plonger dans cette scène musicale et de transmettre son énergie, ses règles internes qui servent de base au tissu social de Kinshasa. À travers elle, c’est tout le pays qui se raconte. Ici, on a surtout connu le chanteur Papa Wemba mais à Kinshasa, il y a tout un univers musical méconnu des Occidentaux. La rumba congolaise, c’est une institution incroyable. Les ensembles, c’est plus de 30 personnes à la fois sur scène et à la télé. Avec l’orchestre de Brigade, on découvre que La rumba actuelle, c’est une énergie mais aussi une manière de raconter la ville et ses ancrages. Comme elle est narrative, elle est chargée de noms de lieux, de personnages, d’émotions. Le titre du film d’ailleurs réfère à cette façon de se raconter à travers la musique, à la transmission des récits en chansons. C’est un phénomène qui rappelle celui des griots d’Afrique de l’Ouest chargés de transmettre les récits historiques à la population. Notre documentaire, c’est du cinéma direct, c’est partir à la rencontre de gens aux noms évocateurs comme Brigade, Pitchou Travolta, Panneau Solaire, Soleil Patron et Xena La Guerrière. Des pseudonymes liés à leur énergie, leur personnalité et l’imaginaire. Moi-même durant mon séjour là-bas, on m’a rebaptisé « Huitième merveille véritable couleur d’origine ». Les danses locales aussi ont des noms très imagées comme celle du mécanicien, du dindon ou du peigne.
Le Clap : Le film est coproduit avec la République démocratique du Congo et la Belgique, et il est coréalisé avec Sammy Bajoli. Le tournage a-t-il été ardu?
DNB : Ça a été une longue aventure. Notre budget n’était pas énorme et on avait en tout un peu moins de 30 jours de tournage qui se sont déroulés en 2015, 2016 et 2019. J’ai eu comme coréalisateur Sammy Baloji, mais à l’origine du projet nous étions trois avec Kiripi Katembo-Siku. L’apport de Kiripi était considérable mais il est subitement décédé peu après le début du tournage en 2015. On a repris le tournage sans moyens en 2016, on a tenu le projet à bout de bras pendant deux ans (merci à la coproductrice Rosa Spaliviero!) pour le terminer en 2020 mais la pandémie a retardé sa sortie.
Le Clap : Et maintenant, le film voyage beaucoup!
DNB : Disons qu’avec la pandémie c’était pas évident, mais qu’il commence enfin à circuler plus. On espère que le voyage sera long! Après Amsterdam (IDFA) fin 2020, il a été à Helsinki, Denton au Texas, Paris, Bruxelles, et il sera bientôt en Suède, à Leuven, Anvers, Ouagadougou et au Portugal. Le grand écran, dans les festivals et les salles de cinéma, c’est pour moi un lieu fondamental pour créer et réfléchir nos récits et nos images. Ce n’est pas un documentaire aussi facile d’accès que certains d’autres, mais j’ai cette conviction qu’il porte quelque chose de fort et d’important. J’aime à penser que ce film peut à la fois toucher les mélomanes congolais et ceux d’un peu partout dans le monde. Aussi à Kinshasa, avec un ami qui a beaucoup aidé à la production du film, on aussi ce projet de faire circuler Rumba Rules (et d’autres films) avec une salle ambulante. Pour vivre, il faut que le cinéma soit vu! Rumba Rules sort en salle au Québec et pour moi c’est vraiment incroyable. J’espère que les gens vont se déplacer et se donner la chance de vivre ça!
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