Voilà dix ans, le Montréalais d’origine serbe Ivan Grbovic sortait un premier long métrage intitulé Roméo Onze. Le film, bien que sorti discrètement, avait reçu de fort belles critiques. Sa nouvelle réalisation, Les Oiseaux ivres, devrait solidifier sa réputation de cinéaste sensible et talentueux, d’autant plus que son oeuvre représentera le Canada aux Oscars dans la catégorie du Meilleur film international. Mettant en vedette Jorge Antonio Guerrero (vu dans Roma), Hélène Florent, Claude Legault et Marine Johnson, Les Oiseaux ivres relate le parcours de Willy qui quitte le Mexique pour tenter de retrouver son amoureuse qui, pour mieux fuir un cartel de drogue, se serait réfugiée au Québec. Arrivé au pays, Willy travaillera sur une ferme tenue par un couple au bord de l’implosion, parents d’une adolescente révoltée. Le réalisateur nous donne des détails sur son récit aux multiples destinées.
Le Clap : Roméo Onze, votre premier long métrage, est sorti en 2011. Votre second, Les Oiseaux ivres, sort dix ans plus tard. Pourtant, vous n’avez pas chômé durant toutes ces années, non?
Ivan Grbovic : Non, car tout ce temps j’ai beaucoup travaillé en publicité, notamment en France et aux États-Unis. Il y a aussi le fait que j’ai eu des enfants et que j’aime prendre mon temps quand je me lance dans un projet filmique.
Le Clap : Vous avez coscénarisé votre film avec votre conjointe Sara Mishara qui assure aussi la direction photo. Parlez-moi de ce qui vous a poussé à écrire sur les travailleurs latinos qui viennent sur nos fermes l’été.
IG : En 2005, je revenais d’un tournage et je suis passé par Saint-Rémi en Montérégie. Il y avait du brouillard et j’ai aperçu une centaine de travailleurs saisonniers devant une caisse populaire. Cette vision, c’était comme si j’avais traversé une frontière magique. En 2005, être témoin de ça, ça m’a causé un véritable choc. Aujourd’hui, ce phénomène est d’actualité, mais pas à l’époque. Ça a été comme une rencontre mystérieuse et c’est ce qui m’a inspiré pour écrire, petit à petit, cette histoire.
Le Clap : Votre acteur principal, formidable il faut le dire, Jorge Antonio Guerrero, a été vu dans Roma d’Alfonso Cuarón, un film de multiples fois récompensé et plébiscité. C’était un choix évident pour jouer Willy?
IG : La maison de production de Roma a été un de nos partenaires pour le casting. J’avais vu Roma et ça a adonné qu’ils nous l’ont proposé. Puis ça a été une évidence, car Jorge est comme un diamant brut. Il a un côté poétique et sensible et il aime jouer devant la caméra. En acceptant le rôle, il a découvert un univers, car il n’avait aucune idée de l’importance des travailleurs saisonniers au Québec. C’était émouvant pour lui de voir ces hommes et ces femmes se déplacer pour travailler de nombreux mois par année sur nos fermes.
Le Clap : De très nombreuses scènes des Oiseaux ivres se déroulent à l’aube et au crépuscule, au moment où commence le travail des ouvriers et où il se termine. Ça donne des images spectaculaires et ça rappelle Les Moissons du ciel (Days of Heaven) de Terrence Malick, n’est-ce pas?
IG : Oui, j’avoue que Days of Heaven est une influence majeure pour la photographie du film. Sara et moi, nous étions têtus. Nous voulions absolument tourner de nombreuses scènes au crépuscule pour capter cette lumière unique. Donc, on pratiquait avec l’équipe de 13 h à 17 h puis après on tournait. On voulait donner un côté fugitif au film, aller vers une symbolique qui alterne entre le rêve et la réalité. Ça donne aussi une impression de grandeur au territoire québécois tout en évitant un certain misérabilisme.
Le Clap : L’histoire de Willy est centrale, mais il y a aussi celle du couple, formé par Claude Legault et Hélène Florent, qui se désagrège et celle de leur adolescente (Marine Johnson très intense) qui désire s’émanciper. Avez-vous eu peur de nous présenter trop de pistes à suivre narrativement?
IG : Mon professeur de scénarisation me disait de ne pas m’aventurer dans un film choral et pourtant c’est un peu ce que j’ai fait ici. Et c’est vrai qu’il y a un danger. Mais si le public embarque, ce que j’espère, au final, ce sera encore plus satisfaisant. Je pense que ça valait la peine d’explorer plusieurs histoires et d’aller à la rencontre de différents personnages.
Le Clap : Votre film vient d’être choisi pour représenter le Canada aux Oscars. Inévitablement, ça le fera davantage voyager. C’est un beau cadeau alors qu’il prend tout juste l’affiche au Québec.
IG : Oui! Je suis tellement content. Entre autres parce que davantage de gens seront curieux et iront voir le film. Je voulais faire un long métrage généreux et accessible et cette nomination-là va aider à le promouvoir. Claude Legault a justement vu le film hier pour la première fois et il a adoré la proposition. C’était important d’avoir un tel avis, car bien qu’acteur, Claude est aussi scénariste. Mais bref, mon film en étant nommé candidat canadien aux Oscars pourra davantage voyager. Et je suis très curieux de la possible réaction de gens qui le verront au Mexique, en Amérique latine et ailleurs. Car au-delà de l’aspect social lié aux travailleurs saisonniers, mon film est aussi très romantique!
NDLR : C’est le 21 décembre prochain que l’Académie des Oscars annoncera la première sélection de finalistes pour la catégorie du Meilleur film international.