Les Intranquilles est un film aussi intime qu’universel abordant avec réalisme les troubles mentaux et leurs effets sur la vie de famille lorsque l’un des membres en est atteint. Ici, c’est le personnage de Damien, artiste peintre, conjoint de Leïla et père du petit Amine, qui verra sa bipolarité le plonger dans une spirale infernale. Il refuse une médication qui pourrait miner son élan créatif et du coup gâche ses rapports avec son amoureuse et son enfant. Ce drame inspiré par les écrits de l’artiste Gérard Garouste est réalisé par Joachim Lafosse (L’Économie du couple) et porté par le formidable tandem formé de Damien Bonnard et Leïla Bekhti dont les prénoms ont été conservés. Rencontre avec le trio pour en savoir plus sur un sujet sensible et un long métrage porteur de bienveillance.
Le Clap : Joachim, votre film est puissant et aussi épuisant.
Joachim Lafosse : C’est vrai, car la confrontation avec la psychose est loin d’être reposante. L’inspiration vient de Gérard Garouste qui était bipolaire, mais c’est aussi beaucoup une partie de mon enfance qu’on voit dans ce film pour lequel j’éprouve une réelle affection. On y voit l’incertitude et l’inquiétude que provoquent la psychose. S’il m’a fallu autant d’années avant d’en parler, c’est que ça m’avait fortement ébranlé comme enfant. Garouste a très bien raconté la maniaco-dépression et dépeint ce retour vers le chemin de la création afin de redevenir un père présent. L’histoire de mes parents est plus violente que celle de Garouste. Il fallait, à travers cette violence, qu’on puisse vivre une histoire d’amour. Pour que le spectateur sorte vivant de mon film, ça prenait cela sinon ç’aurait été trop âpre comme récit. Vivre avec quelqu’un en phase maniaque, c’est vivre dans un véritable thriller.
Le Clap : Leïla, comment se prépare-t-on à un film qui dépeint une telle crise familiale?
Leïla Bekhti : On a heureusement eu du temps pour répéter, plus de dix jours en fait et ça a permis, à Damien et moi, d’être très à l’écoute l’un de l’autre. Les séquences ont été un peu réécrites grâce à ça et le film en a bénéficié. On voulait tous les deux que ce soit une grande histoire d’amour, c’est ce qui devait être raconté. Que ça transparaisse dans les scènes, que la maladie de Damien se joue à deux. D’où le titre qui est au pluriel. La grande patience de mon personnage est portée par son amour pour Damien. Il ne fallait pas en faire une infirmière soumise uniquement. Elle sait aussi qu’elle doit protéger son fils dans cette galère.
Le Clap : Damien, vous n’étiez pas en vacances en amont du tournage ?
DB : Non… J’ai appris à peindre, à faire du catamaran, à nager le crawl en haute mer, à rencontrer durant plusieurs semaines des personnes atteintes de bipolarité et des spécialistes des troubles mentaux en plus de prendre douze kilos. C’était physiquement exigeant et au tournage émotivement intense. Je devais trouver la façon la plus réaliste possible d’incarner un personnage qui vivait des hauts et des bas intenses.
Le Clap : Joachim, vous le disiez, le récit, c’est une partie de votre enfance. Vos parents ont vu le film?
JL : Oui et c’était très important pour moi. Mon père a cessé de prendre du lithium depuis presque 35 ans. Il a fait une psychothérapie et a beaucoup travaillé sur lui-même. Aujourd’hui, on se rend de plus en plus compte que ces intranquilles sont souvent portés par un immense talent. Churchill était bipolaire, il avait des montées et des descentes. Selon certains, toute création se nourrit d’une dysfonction. L’hypersensiblité de mon père, comme celle de Damien, est magnifique, mais aussi complexe à vivre. Avec l’âge, on sent la fatigue et les moments d’euphorie venir. Il s’agit de trouver le juste milieu et mon père a réussi cela. Son parcours, c’est celui de bien des gens. Je n’avais d’ailleurs jamais fait un film provoquant autant de commentaires de la part des spectateurs touchés par l’histoire.
LB : Moi non plus, je n’avais jamais eu autant de retour de la part des spectateurs lors des séances auxquelles nous étions conviées ou encore sur les réseaux sociaux. Ça touche plein de gens, et ça leur faisait du bien de voir ce film.
DB : Oui, même chose pour moi. De recevoir autant de messages de gens qui ont des proches qui ont vécu avec la bipolarité, ça m’a permis de constater que Les Intranquilles a fait un bien fou à tous ces gens, ça leur a permis de savoir qu’ils existent aux yeux des autres. D’ajouter un S au mot « intranquille », c’est ça le coeur du film.
Cette entrevue a été réalisée sur invitation, dans le cadre des Rendez-vous du cinéma d’UniFrance 2022.