L’événement

Anamaria Vartolomei dans L’Événement

Le film français L’Événement, réalisé par Audrey Diwan, a fait sensation en 2021, gagnant le Lion d’or à la plus récente édition de la Mostra de Venise. Il arrive enfin sur nos écrans ce mois-ci. Le long métrage tire son origine du roman autobiographique d’Annie Ernaux publié en 2000. Le récit retrace comment, dans la France du début des années 60, l’écrivaine alors toute jeune étudiante universitaire, doit trouver une façon pour se faire avorter alors que la chose est encore illégale au pays. Audrey Diwan, aussi réalisatrice de Mais vous êtes fous et scénariste de Bac Nord, nous donne des détails sur cette deuxième réalisation, un film concocté avec intelligence et sensibilité, porté par la formidable performance d’Anamaria Vartolomei dans le rôle principal.

Le Clap : Audrey, votre film se déroule en 1963 et permet de remettre en contexte une époque pas si lointaine où des changements sociaux majeurs étaient nombreux à poindre à l’horizon.

Audrey Diwan : Oui, à ce moment, la jeunesse française était en train de se constituer en tant que corps social distinct, d’affirmer sa voix. C’est particulier de s’imaginer tous ces jeunes de vingt ans tentant de se rapprocher et de s’émanciper dans un cadre social encore très rigide où il était interdit de se toucher. Écrire et mettre en scène ce film, c’est à la fois raconter l’interdit et le désir.

Audrey Diwan, réalisatrice, tenant le Lion d’or remporté à Mostra de Venise.

Le Clap : Remonter dans le temps, c’est inévitablement faire des découvertes sur la société de l’époque et la façon dont l’avortement était vu. C’était un tabou énorme.

AD : J’ai été très surprise par ce phénomène d’autant plus que j’ai moi-même déjà avorté. Le livre d’Annie Ernaux n’est pas son plus connu. Sa sortie a été assez confidentielle. En me plongeant entièrement dans le bouquin et dans cette époque, j’ai réalisé que je ne connaissais pas grand-chose à l’avortement clandestin. J’ai constaté l’ampleur de ma méconnaissance sur le sujet. La réalité était brutale. Elle l’est encore, car elle nous amène à nous interroger à nouveau sur ce qui se passe dans le monde, là où l’avortement est encore interdit du moins dans des dizaines de pays. J’ai discuté longuement avec Annie Ernaux lors de l’écriture du film et son parcours m’a impressionnée. Elle venait d’un milieu prolétaire, de la campagne, mais elle s’est rendue à l’université, elle a traversé les époques et les barrières de classes. Son histoire, c’est aussi celle d’une femme qui trouve et fait sa place dans la société.

Le Clap : Anamaria Vartolomei est d’une grande justesse dans le rôle d’Anne. Comment a-t-elle obtenu le rôle?

AD : Je travaille avec une excellente directrice de casting qui savait que je voulais une jeune actrice qui puisse oublier la caméra, car mon tournage allait être immersif et chorégraphique à la fois. Il fallait trouver un savoir-faire naturel à l’écran et Anamaria l’avait d’instinct en nous offrant un jeu minimaliste. Son personnage étudie les lettres, la littérature, il fallait quelqu’un qui maîtrise le texte et les mots. Chose qu’elle savait faire à la perfection.

Sandrine Bonnaire et Anamaria Vartolomei

Le Clap : Sandrine Bonnaire apparaît dans un rôle secondaire dans votre film. C’est une belle faveur qu’elle vous accorde.

AD : Qu’elle accepte un second rôle démontre son intelligence et sa grande humilité. C’est la marque des grandes actrices. Et ce qui est drôle, c’est que Sans toit ni loi, qui a marqué sa carrière de comédienne, a aussi gagné le Lion d’or en 1985. Mais surtout, c’est que cette oeuvre signée Agnès Varda nous servait de matrice lors du tournage. J’ai montré ce film à Anamaria pour qu’elle s’inspire du sentiment de liberté qui s’en dégage, pour qu’elle constate à quel point ce personnage joué par Sandrine est très vertical dans sa façon d’être et d’apparaître à l’écran.

Le Clap : En 2021, Titane et L’Événement ont été les deux films français les plus salués par les critiques et les festivals à l’international. Les deux sont réalisés par des femmes, Julia Ducournau et vous. Symboliquement, c’est un beau hasard.

AD : Oui, mais j’en fais une lecture toute personnelle et particulière. Julia et moi, nos films du moins, représentent une industrie qui désarme très lentement sa méfiance envers des réalisatrices qui ont un point de vue, voire un parti pris, à mettre de l’avant au grand écran. Et cette méfiance, pour l’atténuer, c’est un processus qui est long, très long. Seulement un quart des films européens sont actuellement réalisés par des femmes. J’espère que nous sommes les nouveaux rouages permettant de désamorcer ce système et cette méfiance petit à petit.

Cette entrevue a été réalisée dans le cadre des Rendez-vous du cinéma d’UniFrance 2022.