Éric Gravel a quitté le Québec pour aller vivre en France il y a maintenant plus de vingt ans. Ce cinéaste qui s’était forgé une belle réputation dans le mouvement Kino à Montréal, à ses débuts, avait lancé en France, en 2017, Crash Test Aglaé, un premier long métrage qui, malgré une sortie discrète, avait été fort bien accueilli dans l’Hexagone. Ce vendredi, il lance au Québec sa deuxième fiction, intitulée À plein temps, une oeuvre haletante qu’il a scénarisée, un film illuminé par la présence de Laure Calamy qui tient le rôle principal.
À plein temps, c’est l’histoire de Julie, une mère monoparentale habitant en banlieue et travaillant dans un hôtel 5 étoiles en plein coeur de Paris. Ses journées, elle les passe à courir pour mener les enfants chez la gardienne avant l’école, prendre les transports en commun pour se rendre au centre-ville et trouver du temps pour chercher un nouvel emploi. Entretien avec le réalisateur qui a porté à bout de bras ce récit portant sur une femme déterminée qui ne fait que courir pour maintenant à flot sa vie familiale et professionnelle.
Le Clap : Éric, votre film devait s’intituler Être en mouvement au départ et…
Éric Gravel : Je sais, pour le Québec, À plein temps, ce n’est pas une bonne idée (rire)!
NDLR : À plein temps étant aussi le titre du téléroman de Radio-Canada qui, dans les années 80, mêlait maladroitement au petit écran des personnages joués par des marionnettes et de vrais acteurs.
Le Clap : Comment est né le film Éric?
ÉG : C’est venu un peu avant la sortie de Crash Test Aglaé. Mon producteur trouvait que j’allais vers un univers très différent de mon premier film, mais ça lui plaisait. J’ai retravaillé le scénario et la structure, sur une grosse année. Mais la COVID est arrivée et nous a fait perdre un bon huit mois. Au final, on s’en est quand même bien sorti et le film a été lancé à la Mostra de Venise.
Le Clap : Julie, votre personnage principal, travaille comme femme de chambre dans un hôtel de luxe parisien. Pourquoi avoir voulu illustrer ce milieu très particulier?
ÉG : Il fallait que je trouve le métier idéal qui allait nous permettre de voir évoluer mon personnage. Dans ma tête, c’était soit un restaurant ou un hôtel. Il fallait un boulot qui force Julie à se déplacer. Un métier aussi reproductible, car elle fait le ménage chez elle et au travail. Sa routine est toujours à recommencer. Je voulais également qu’on apprenne à la connaître sans devoir expliquer trop de choses. Avec cette femme de chambre perfectionniste, mon personnage devenait haut de gamme malgré son dur labeur. Elle aurait également pu être une immigrante, car elles sont nombreuses dans cet univers, mais j’étais moins à l’aise pour scénariser cette réalité. Et je dois avouer que je me suis beaucoup inspiré de mon père qui m’a élevé seul, donc mon scénario partait beaucoup de l’intérieur. Je ne voulais pas d’un film d’observation, je voulais qu’on vive avec le personnage.
Le Clap : Les grèves des transports en commun à Paris, c’est un gros phénomène pour ceux qui y habitent. C’est presque devenu une caractéristique de l’endroit.
ÉG : J’habite à la campagne en France et pourtant je voulais parler de ce phénomène, car les complications sont énormes et affectent tellement de gens, des grèves jusqu’aux travaux routiers. Sachant que c’est un sujet délicat, mon film n’est pas une charge contre les grèves, c’est simplement un facteur qui fait partie du quotidien des Parisiens. En 95, j’étudiais justement à Paris et il y avait une grève. Je me souviens parfaitement de la solidarité qui s’installe entre les automobilistes et ceux qui doivent se déplacer malgré tout pour se rendre au travail. La situation n’a pas changé. Récemment, en France, la colère des oubliés, les manifestations des Gilets jaunes, tout ça s’entremêle dans l’actualité.
Le Clap : C’est voulu et c’est d’une redoutable efficacité, mais votre film est épuisant. Julie ne cesse de courir « après sa vie ».
ÉG : C’était ma base de travail lors de l’écriture du scénario. Pendant le tournage, le montage était en branle. Il fallait conserver cette ligne directrice, sentir ce rythme effréné à l’écran comme dans le scénario. Toutes les scènes de transport ont été tournées à la fin. Ça a été essentiel en montage. Les allers-retours et les transports, c’est la colle du film.
Le Clap : Laure Calamy est extraordinaire dans son rôle. On l’a vue notamment dans Antoinette dans les Cévennes et dans la série Dix pour cent. Elle est capable d’être naturellement drôle comme Blanche Gardin et d’être touchante comme Karin Viard.
ÉG : Oui, on la compare beaucoup à Karin Viard. Moi, j’aime dire qu’elle est dans une catégorie à part. Elle a une grande technique, car elle a fait de nombreuses années de théâtre. Sur un plateau, tout a l’air facile avec elle. Quand on tournait une scène, je ne faisais que lui rappeler vers où son personnage se dirigeait et ensuite elle me faisait plein de variations. On avait le choix en montage. Ça nous rendait la vie facile. C’est une travaillante, elle est très préparée et me rappelle le jeu des actrices britanniques davantage que françaises.
Le Clap : Irène Drésel a fait un boulot extraordinaire pour créer les ambiances musicales hypnotiques et répétitives qui accompagnent les scènes où Julie est en mouvement et qu’elle traverse Paris. Pourquoi être allé vers cette artiste associée à la musique électronique?
EG : Mon producteur me l’a proposée. Il la connaissait personnellement, c’était son amie. À la base, je voulais un artiste qui a sa propre personnalité et qui soit capable d’aller vers des ambiances musicales comme celle de Koyaanisqatsi ou encore d’avoir un son à la Tangerine Dream. Irène n’a eu qu’à retirer ses beats et ses musiques se sont automatiquement harmonisées au parcours de Julie. Pour Irène, c’était une première expérience avec la musique à l’écran.
Le Clap : À plein temps est lancé au Québec, vous êtes venu en faire la promotion. Quelle sera la suite des choses?
ÉG : Je ne vais pas me plaindre, mais la promotion du long métrage me demande énormément de temps. Il a été vendu dans beaucoup de pays. J’arrive de New York et je me dirige vers la Corée du Sud, puis il y aura le Brésil, la Pologne. On a évidemment fait une grosse tournée de promotion en Europe et là, j’ai hâte de reprendre l’écriture. J’essaie de développer deux projets en même temps et de les présenter à mes producteurs. Si j’en porte deux, c’est qu’ils me tiennent autant à coeur l’un que l’autre et que j’y crois. C’est à suivre.