On déplore depuis longtemps le manque de synchronisation, entre la France et le Québec, pour la sortie en salle ici des films en provenance de l’Hexagone. Lorsqu’un long métrage français ou européen prend l’affiche en France, il faut souvent attendre de 4 à 6 mois avant que le distributeur québécois, possédant les droits du film en question, décide de le sortir sur grand écran. Certains titres arrivent même dans nos cinémas avec un an de retard depuis leur lancement officiel dans le cadre de festivals prestigieux se déroulant à Cannes, Berlin ou Venise. Et pour illustrer ce phénomène déplorable, nul besoin de revenir sur le célèbre et pathétique cas de Mesrine dont les deux volets, lancés en 2008, en France, sont arrivés au Québec, en 2010, avec presque deux ans de retard.
Des chicanes de producteurs, de distributeurs et de territoires sont souvent à l’origine du problème de décalage entre les dates de sorties d’un continent à l’autre. Les Américains négocient fréquemment des conditions de lancement pour l’ensemble de l’Amérique du Nord, des conditions auxquelles doivent aussi se plier les petits distributeurs québécois. Pour nos voisins du Sud, sortir un film de François Ozon ou de Jacques Audiard 6 mois après la sortie française ne représente pas un danger pour leur rentabilité de distribution surtout que ces films sont destinés à un réseau de salles alternatives surtout situées à New York et Los Angeles. Au Québec, le marché étant fragile et le téléchargement illégal de plus en plus utilisé, l’idée de sortir le film rapidement, voire en même temps que le reste de l’Europe, devient légitime et essentiel. Il faut profiter des échos médiatiques associée à une œuvre remarquée dans un festival, plébiscitée par les critiques étrangères ou encore connaissant un succès monstre aux guichets.
En jetant un coup d’œil aux projections de sorties en salle cet automne, la donne est peut-être en train de changer. Malgré quelques exceptions comme La Belle et la bête, ou le formidable film des frères Larrieu, L’Amour est un crime parfait, à l’affiche en octobre mais sortis voilà plus de 9 mois en France, plusieurs titres seront lancés en même temps des deux côtés de l’Atlantique. Ce sera le cas pour Tu veux ou tu veux pas, comédie mettant en vedette Sophie Marceau et Patrick Bruel (en salle ici avec seulement une semaine de décalage), pour The Search, du réalisateur de The Artist (prévu en novembre) et pour Mille fois bonne nuit, long métrage avec Juliette Binoche (qui sortirait au Québec, chose rare, avant sa sortie parisienne). Hippocrate avec Jacques Gamblin, 3 Coeurs avec Benoît Poelvoorde, Geronimo de Tony Gatlif et Gemma Bovery avec Fabrice Luchini seront quant à eux lancés au Québec avec quelques semaines de retard seulement.
Cette stratégie de mise en marché, à mon sens, doit être encouragée et appliquée systématiquement afin de s’adapter au marché actuel qui s’abreuve à l’instantanéité de la consommation culturelle. L’ensemble des distributeurs et exploitants de salles du Québec qui ont à cœur le cinéma étranger devraient impérativement sortir les films une fois leur vie en festival terminée afin de profiter au maximum du « buzz » comme on dit si bien au Québec. Car si Yvon Deschamps remontait sur scène avec un monologue s’attardant à la consommation de films en 2014, il nous dirait sûrement : « On veut pas le savoir que le film existe, on veut le vouère! »