Trio gagnant
Le deuxième long métrage de Nadège Loiseau, Trois fois rien, prend l’affiche simultanément en France et au Québec à la mi-mars. Cette coproduction franco-canadienne met en vedette Antoine Bertrand, Philippe Rebbot et Côme Levin qui, tous trois, avaient été dirigés par la cinéaste dans sa réalisation précédente Le Petit Locataire (inédit au Québec) sortie en 2016. Dans cette nouvelle comédie dramatique, le trio d’acteurs interprète des itinérants qui ont trouvé refuge dans le bois de Vincennes en banlieue parisienne. Leurs destinées, devenues communes, prendront une drôle de tournure lorsqu’ils gagneront un lot de plus de 200 000 euros au loto. Mais évidemment, le bonheur au quotidien ne se résume pas à une somme d’argent, aussi élevée soit-elle. Nadège Loiseau nous offre quelques minutes de son temps pour nous parler de son film et du pari qui l’accompagne, soit d’en faire un succès alors qu’Antoine Bertrand, encore peu connu en France, en est la tête d’affiche.
Le Clap : Nadège, vos trois acteurs qui jouent Brindille, Casquette et La Flèche avaient joué sous votre direction dans votre premier long métrage qui mettait aussi et surtout en vedette Karin Viard. Qu’est-ce qui vous a poussé à les réunir devant votre caméra à nouveau tout en leur donnant des rôles de plus grande importance?
Nadège Loiseau : L’envie de refaire un film avec eux est né littéralement sur le plateau du Petit Locataire. Ils ont tous les trois une énergie physique incroyable et vraiment très différente. Je suis très rattaché au corps des acteurs à l’écran et ce qu’ils en font. Ici, on voit bien qu’ils se complètent à merveille. Le défi, ici, dans le registre de la comédie, c’était qu’il fallait qu’ils apprennent à danser une valse à trois et ça ce n’est pas évident. L’enjeu, c’est que les trois existent à l’écran, que chacun serve la soupe pour que l’autre soit mis en valeur, et ce, à tour de rôle. Heureusement, cette volonté était bien là pour chacun d’eux.
Le Clap : Les trois acteurs se complètent physiquement et ils ont des têtes et des caractères très différents. Antoine a une tête de Québécois, Philippe de Français, et Côme, il a définitivement une tête pour jouer dans Trainspotting, non?
NL : Ha! Ha! Ha! Absolument. Côme a une tête de Gallois, il a d’ailleurs des origines franco-américaines.
Le Clap : Plus le récit avance dans votre film, plus le personnage d’Antoine, soit Brindille, prend de l’importance. C’est un risque d’en faire votre vedette principale, car même s’il a tourné quelques films et que Starbuck a été un grand succès, il n’est pas encore considéré comme une star en France aux yeux et du public et des médias.
NL : C’est vrai, mais ce film ne pouvait être fait qu’avec Antoine dans le rôle de Brindille. Le budget du film n’était pas élevé et la pression était donc moindre pour avoir un casting flamboyant. Heureusement car pour moi, la présence d’Antoine en tête d’affiche n’était pas négociable. Monter un long métrage avec Antoine, c’est une gageure et la coproduction avec le Québec a aidé à concrétiser le tout.
Le Clap : L’accent d’Antoine n’est pas camouflé, il parle québécois, naturellement, comme il se doit. C’est encore rare la mise en évidence des accents régionaux et étrangers dans le cinéma français.
NL : En France, maintenant, on est prêt, je crois à accueillir, l’accent québécois. Je viens du nord de la France et on m’a fait remarquer rapidement, quand je suis arrivée à Paris, que j’avais un drôle d’accent. Je suis fan des langues et hélas les accents ont de la difficulté à exister au cinéma français. Pourtant les accents, c’est musical, ça raconte un pays, une région, et c’est important. Et Brindille, il doit garder son accent québécois sans pour autant que l’histoire soit celle d’un Québécois à Paris. On est ailleurs. Antoine lui se marre avec son accent quand il vient à Paris. Et nous, on se marre avec lui.
Le Clap : Le sujet principal du long métrage, et il faut en parler, c’est l’itinérance et les SDF. C’est un sujet qui vous tenait à coeur.
NL : Oh oui, le sujet me bouleverse et le regard qu’on pose sur ces gens sans domicile fixe ou encore celui qu’on n’ose pas poser, c’est ce qui est troublant. Même si le visage typique du SDF a beaucoup changé depuis quelques années en France, notamment à cause de l’immigration, j’ai été à même de connaître ce phénomène, car j’ai vécu à côté du bois de Vincennes où plusieurs s’y trouvent, dans des campings de fortune. J’ai rencontré ces gars-là qui ont été mes voisins et qui m’invitaient à prendre un café avec eux. Il y avait 200 000 sans-abris quand j’ai commencé à plancher sur le scénario voilà cinq ans. Aujourd’hui, ils sont 300 000 en France. Ce phénomène, inévitablement et heureusement, fait partie du débat qui va accompagner la sortie du film en salle. Il n’y a pas un message angélique dans mon récit, mais il faut réaliser que les itinérants ont chacun leur propre histoire et qu’il faut s’y intéresser. Je ne voulais pas rire d’eux, mais rire avec eux pour que notre regard ne soit pas au-dessus d’eux mais bien à leur hauteur. Avec le rire, mon film, je l’espère, donnera envie de ne plus les quitter du regard.