20 minutes ferme avec Albert Dupontel.

En janvier dernier, à Paris, à l’invitation d’UniFrance, j’ai eu l’occasion, durant vingt minutes, de m’entretenir avec le cinéaste et comédien Albert Dupontel sur place pour la promotion de son cinquième long métrage, 9 mois ferme. Le film prendra enfin l’affiche vendredi au Québec et raconte une histoire d’amour improbable et au départ forcée entre une juge et un jugé. Sandrine Kiberlain et Dupontel interprétant les deux rôles principaux.

Je connaissais l’œuvre de Dupontel depuis longtemps, me souvenant encore de l’avoir découvert en 1996, au Clap, dans Bernie, son premier film en tant que réalisateur. Depuis, j’ai pu admirer son travail d’acteur au fil des années, notamment dans Irréversible, Le Convoyeur et Un long dimanche de fiançailles. Albert Dupontel n’est pas le comédien le plus populaire, ou devrais-je dire célèbre, en France, ce qui ne l’empêche pas de mener une belle carrière sur deux fronts. Acteur recherché de cinéastes de tous horizons, de Becker à Blier, en passant par Klapisch et Deville, il est aussi devenu un réalisateur respecté, naviguant continuellement dans les eaux de la comédie  burlesque et grinçante (Le Créateur, Enfermés dehors, Le Vilain). 9 mois ferme est possiblement sa comédie le plus aboutie jusqu’ici et de loin son plus grand succès public. 2 millions de personnes ont vu le film en France. Heureux comme pas deux, Dupontel lui-même s’en étonne encore. « Mon film n’est pas conçu pour obtenir un aussi grand succès. Pour moi, c’est un quiproquo. Je ne fais pas un cinéma populaire, mais un cinéma à tendance populaire. Quand je fais un film, c’est parce que j’ai quelque chose à raconter. Mais quand je le livre, il est plein de pâtisseries, de sucreries pour être comestible. Il n’est pas livré comme ça: je suis un auteur et je vous emmerde. Non! J’ai besoin des gens, de leur regard, de leur amour. »

Avoir en entrevue Albert Dupontel, c’est faire la rencontre d’un homme affable, brillant, d’une franchise qui déconcerte et d’une vivacité d’esprit qui déstabilise et peut presque provoquer des malaises. En ce sens, il rejoint l’image qu’il projette au cinéma, celle d’un acteur pouvant jouer des personnages attendrissants, mais qui se spécialise dans le «pétage de coche» et les dérapages excessifs. Bref, il a les allures d’un humaniste engagé qui pourrait devenir un tueur en série l’instant d’après. Lors d’un entretien, cela donne des moments assez révélateurs sur sa nature et sa vision des choses.

Par exemple, sur sa relation avec Sandrine Kiberlain sur le tournage de 9 mois ferme, il dira : « C’est un accident heureux. Je voulais tourner le film en anglais avec Emma Thompson. Finalement, je l’ai tourné en français. Je cherchais une petite brune agressive, tout le contraire de Sandrine, mais elle a amené une tendresse et une émotion très étonnantes. Mais ça n’a pas été simple. Elle était un peu dilettante, un peu désinvolte, donc les répétions étaient compliquées. Au début, y a un texte qui n’était pas su, ça a un peu crispé la relation. On a mis cartes sur table et elle s’est mise à travailler, et même pas mal. Il a fallu qu’elle entre dans l’énergie du plateau ».

Sur le registre identique de comédie sur lequel repose tous ses films il répond : « Si vous sous-entendez que je ne me renouvelle pas, j’assume. Je n’ai pas envie d’analyser, car analyser, c’est réduire. Je suis sur un prochain projet et je vois arriver mes grosses ficelles même si je fais tout pour les camoufler. Un esprit acerbe comme vous les verra assez vite ».

Souriant et concentré, il peut déstabiliser son interlocuteur en avouant au sujet de la promotion de ses films : « Ce que je déteste le plus, c’est la sortie, la promotion de mes films. C’est super trivial, il faut parler de soi, il faut être pédant, hypocrite, faux-cul, exactement ce que je suis depuis dix minutes avec vous. Pour faire des films, il faut faire appel à ses qualités et pour les sortir, faire appel à ses défauts ».

La franchise de ce passionné l’amène aussi à passer un message politique et culturel quand on aborde l’avenir du cinéma. « L’exception culturelle française devrait être la norme pour tous les pays européens. Ce n’est pas normal qu’il n’y ait plus de cinéma allemand, espagnol ou italien. Bizarrement, les dirigeants européens ont tendance à vouloir supprimer cette exception culturelle. Cette Vieille Europe a beaucoup de choses à raconter, elle est plus nuancée, plus tolérante, plus humaine que l’Amérique qui est vorace, cupide et avide. Ce n’est pas à un Québécois que je vais apprendre ça ».

Au bout du compte, Dupontel est le genre d’artiste attachant, brillant, engagé et déstabilisant à qui l’on souhaite une longue carrière, autant pour son talent, son honnêteté que pour sa roublardise.

En mémoire de Miron et Jutra.

Y a de ces films qui passent en coup de vent, qui font peu de bruit, qui ne profitent aucunement d’une campagne de marketing digne de ce nom. Y a de ces films qui sont très courts ou qui relèvent du documentaire, voire du film d’art. Hors festival, ils ont peu de visibilité et leur présence en salle est plus souvent qu’autrement très marginale.

Gaston Miron

Gaston Miron

Pourtant, certains n’en sont pas moins remarquables ou des plus utiles d’un point de vue culturel, social, historique ou même identitaire. C’est le cas de deux films que j’ai eu l’occasion de voir récemment. Le premier, toujours à l’affiche au Clap, Miron : un homme revenu d’en dehors du monde réalisé par Simon Beaulieu, aussi auteur du documentaire sur Gérald Godin. Avec ce film sur Miron, Beaulieu met les mots du poète à l’avant-plan, une poésie intemporelle livrée par le poète à la voix unique, au timbre aussi pastoral que familier. Plutôt que de miser sur des témoignages ou de nous livrer une biographie typique, le réalisateur a concocté une œuvre où le discours enflammé, nationaliste et amoureux de Miron est soutenu par des images tirées de dizaines de films québécois (provenant des archives de Radio-Canada et de l’ONF), ces archives montrant en rafales l’évolution de la société québécoise sans pour autant mener à un constat éditorial clair, où chacun voit ce qu’il veut bien voir. On assiste donc à un film impressionniste qui nous rappelle que le mois de mars, c’est aussi celui de la poésie. Un film de mémoire donc, où les mots de Miron résonnent encore et encore.

Parlant de mémoire et de cinéma, on ne peut oublier le destin tragique de Claude Jutra. Cinéaste important, on lui doit Le Chat dans le sac, Kamouraska et plusieurs autres œuvres marquantes de notre cinéma. Pas pour rien si les récompenses annuelles en cinéma québécois portent son nom.

Claude Jutra

Claude Jutra

Bref, il faut le rappeler, Jutra était atteint de la maladie d’Alzheimer et s’est suicidé à l’âge de 56 ans. Sa carrière a connu des hauts, mais aussi plusieurs bas. Un petit film coproduit par l’ONF intitulé tout bonnement Jutra lui rend hommage. Ce court métrage d’une grande beauté réalisé par Marie-Josée Saint-Pierre (Les Négatifs de McLaren) s’amuse, par le biais de l’animation, avec la pellicule, les films d’archives et les entrevues données par Jutra sur sa passion, sa carrière, ses idéaux.

En attendant sa sortie imminente en salle, possiblement en avant-programme d’un film québécois à prendre l’affiche ce printemps, voici la bande annonce de Jutra. Elle permet, au-delà des écrits, de mieux saisir la qualité du travail artistique de la réalisatrice sur ce court film des plus touchants. Grâce à ces films, les mots de Miron et les images de Jutra se répètent et se meuvent au présent pour ne pas tomber dans l’oubli.

Un Villeneuve couleur glauque.

Voilà déjà quelques années, alors que je travaillais pour la télé de Radio-Canada, je devais commenter par voix hors champ la sortie en format DVD du nouveau film de David Lynch, Mulholland Drive. Grand fan devant l’éternel des films de David Lynch, je décrivais l’ambiance de ce chef-d’œuvre, dont le scénario défi toute logique, en utilisant le terme glauque. La réalisatrice et le monteur qui me supervisaient m’avaient aussitôt demandé d’enlever ce mot de ma narration, sous prétexte que les téléspectateurs ne saisiraient en rien sa signification.

Ayant encore aujourd’hui une bonne mémoire, c’est avec méfiance et craignant la censure ou le risque d’être incompris que j’ose utiliser le mot glauque sur ce blogue pour décrire Ennemi, le nouveau film de Denis Villeneuve qui sort en salle vendredi. Ironie mis à part, je vous confirme mon emballement pour cette œuvre marginale dont il est inutile, comme pour les films de Lynch, d’en chercher à comprendre le sens exact. Glauque comme Mulholland Drive, glacial comme un film d’Atom Egoyan, troublant comme un Cronenberg, psychologiquement brillant comme un Hitchcock et aussi intrigant que Donnie Darko (film de Richard Kelly dans lequel Jake Gyllenhaal jouait l’un de ses premiers rôles), Ennemi est pour moi le long métrage le plus achevé, le mieux réalisé, le plus déconcertant de la jeune carrière du cinéaste québécois. Je dis jeune, car Villeneuve, mi-quarantaine, n’en est qu’à son sixième long métrage.

Bien sûr, Ennemi ne plaira pas à tous. On est loin du suspense engendré par Prisoners ou du drame politique et familial d’Incendies. Mais, comme pour ces deux réalisations, nous sommes devant un film signé de la main d’un cinéaste qui veut aller au-delà du simple divertissement en salle. Un long métrage signé par un créateur qui, peu à peu, prend conscience de tous ses moyens, sachant du même coup s’entourer d’une équipe de grand talent, autant du côté du scénario que de la direction photo. Ce que j’aime chez Denis Villeneuve, c’est qu’il prend des risques et avec Ennemi, plus que jamais. Malgré sa victoire dans cinq catégories, dont meilleur réalisateur canadien au dernier gala des prix Écrans, Villeneuve sait bien que son film n’a pas le synopsis idéal pour rassembler les foules. Le cinéaste lui voue pourtant un réel attachement, estimant que son adaptation du roman de José Saramago L’Autre comme moi, demeure jusqu’ici son projet le plus personnel.

J’éprouve, sans pudeur, beaucoup de plaisir à faire l’éloge d’Ennemi parce qu’il a été réalisé par un passionné du septième art et que j’attendais avec impatience de sa part ce genre de risque filmique. Car cet univers cinématographique, si glauque (j’aime ce mot que voulez-vous), rejoint un besoin profond chez moi comme chez plusieurs cinéphiles  : celui d’être bousculé, dérangé, secoué par une histoire plutôt que d’être conforté et rassuré. C’est un peu comme acquérir un nouveau vocabulaire, malgré la crainte de se tromper sur le sens des mots, ça permet d’élargir la discussion et de rester bien éveillé pour la suite des choses, pour la suite du monde.

De Resnais à Sautet en passant par Claudel !

En apprenant récemment le décès d’Alain Resnais, mort à 91 ans alors qu’il venait de présenter son plus récent film, Aimer, boire et chanter au Festival de Berlin, je me suis souvenu à quel point ses films m’avaient appris à mieux saisir l’essence même de la création en cinéma. On peut regarder un film comme on observe une peinture, comme on dévore un roman, comme on admire une chorégraphie de danse. Et le faire avec un autre objectif que de se divertir relève de l’apprentissage. Parfois d’un long apprentissage. Comme celui d’apprécier à sa juste valeur de la haute cuisine. Goûter un nouvel aliment et se délecter de saveurs inconnues n’est pas toujours chose facile.

Voir les films de Resnais a donc été pour moi l’un des plus beaux exercices d’apprivoisement du septième art. L’expérience relève du pur bonheur, mais aussi parfois d’un ennui profond quand on ne saisit pas toute l’envergure de sa démarche et de ses codes. Ses premiers acolytes scénaristiques, Robbe-Grillet et Duras, proposaient en plus des dialogues qui relevaient de la neurasthénie pour le jeune universitaire que j’étais. Mais indéniablement, l’œuvre de Resnais m’a apporté beaucoup dans ma culture cinématographique, m’a éduqué comme spectateur à voir au-delà de la simple histoire, au-delà de l’image aussi.

Le cinéaste français a marqué l’histoire du cinéma et son œuvre, comme celles de Fassbinder, Pasolini et Orson Welles, qui étaient toutes au programme du certificat d’études cinématographiques de l’Université Laval à l’époque où j’y étudiais. C’est là que j’ai connu son univers, à travers Providence, un film absurde, iconoclaste et loufoque, qui demeure encore aujourd’hui mon préféré parmi ses vingt longs métrages. J’y ai aussi découvert Nuit et brouillard, son documentaire sur l’holocauste; marquant, troublant et que je n’ai jamais voulu revoir.

Resnais est de ces réalisateurs difficiles à classer. Nourri par le théâtre et les mots, expérimentant son art en se faisant un nom durant les années soixante, il n’était pourtant pas associé à la Nouvelle Vague. Plus près de Chris Marker que de Godard dans ses essais, plus drôle et éclaté que Rohmer, moins cynique que Chabrol, il était assez unique dans son cheminement. Alain Resnais demeure pour moi l’exemple même d’un artiste libre, inspiré et inspirant. Il nous manquera.

Alain Resnais

Alain Resnais

Pendant que je découvrais l’œuvre de Resnais en salle de cours, somnolant le matin pendant la projection d’Hiroshima, mon amour, je me reprenais le soir en allant au Clap pour voir les nouveautés à l’affiche. J’aimais bien Daniel Auteuil pour ses pitreries dans Les Sous-doués et pour ses touchantes prestations dans Jean de Florette et Manon des sources. Je n’ai donc pas hésité à m’acheter un billet pour le revoir dans Quelques jours avec moi, un film signé Claude Sautet, réalisateur que je neconnaissais pas à l’époque.

Claude Sautet

Claude Sautet

Et quel choc ce fut. Le souvenir est tellement fort encore aujourd’hui que Quelques jours avec moi, Un cœur en hiver et Nelly et Monsieur Arnaud, tournés l’un après l’autre, demeurent mes trois films préférés du cinéaste. C’est en pensant à Sautet que j’ai vu la semaine dernière Avant l’hiver, troisième long métrage de Philippe Claudel. Le romancier et cinéaste ne s’en cache pas, l’ombre de Sautet plane sur son film qui met aussi en vedette un Daniel Auteuil avare de mots. Pour Claudel, la qualité de l’œuvre de Sautet n’est plus contestée depuis son décès. De son vivant, ses films pourtant marquants (César et Rosalie, Les choses de la vie, etc.), n’étaient jamais appréciés à leur juste valeur par la critique française. Sautet, comme Resnais, faisait bande à part. Et moi, j’aime bien penser à leurs films qui ont eu, dans ma vie de cinéphile, le même effet que de voir les jours s’allonger après de longs mois d’hiver.

Aller au cinéma «c’est fucking cool»!

« C’est juste fucking cool d’aller voir un film en salle, pis ça il faut le rappeler aux gens! » Cette phrase, elle est du cinéaste Daniel Grou, alias Podz, rencontré plus tôt cette semaine alors qu’il était de passage à Québec pour faire la promotion de Miraculum, son quatrième long métrage qui vient tout juste de prendre l’affiche. Cet énoncé du réalisateur, sans être un cri du cœur, réfère au débat actuel sur la rentabilité des films d’ici et sur un certain manque de curiosité du public québécois à découvrir sa cinématographie actuelle. Voir un film en salle relève du plaisir partagé, du plaisir d’assister à plusieurs à un divertissement, à une proposition, voire une vision artistique de la vie à travers une histoire filmée et projetée sur un immense écran blanc.

Si Podz, qui attire des millions de personnes devant le petit écran avec ses séries télé comme 19-2, réalise encore des films destinés aux grandes salles, c’est que le cinéphile en lui y voit une finalité qui n’a rien à voir avec la réalisation télé ou encore le visionnement en ligne qui gagne en popularité. D’ailleurs, discuter cinéma avec Podz est un pur bonheur. C’est un cinéphile vorace doté d’une mémoire vive impressionnante. Il peut parler d’un film de Michael Haneke, discourir sur les mules qui transportent de la drogue comme Gabriel Sabourin dans Miraculum et faire le lien avec l’exceptionnel film Maria Full of Grace puis ensuite s’amuser à jouer au jeu des sosies en comparant Marilyn Castonguay avec Julie Christie. Un vrai feu roulant!

Cela dit, la visite de l’équipe de Miraculum succédait cette semaine à celle du film L’Ange gardien, deuxième long de Jean-Sébastien Lord. Les deux films mettent en vedette Marilyn Castonguay. Avec humour, elle n’a pas su nous recommander LE FILM à voir au cours des prochains jours. S’il y a un lien à faire entre les deux œuvres, hormis celui de miser sur cette jeune actrice des plus talentueuses, c’est celui d’offrir une proposition assez différente de ce qu’on retrouve habituellement dans le cinéma québécois. Podz nous présente un film choral permettant de suivre le destin de sept personnages principaux. Lord, lui, à travers un drame social, flirte avec le thriller garni d’une touche totalement inusitée dont on peut révéler la nature sans nuire à l’intrigue. Le réalisateur a dû attendre pas moins de quatorze ans pour obtenir du financement et l’aval des institutions pour produire son deuxième long métrage. L’Ange gardien prendra l’affiche le 7 mars en même temps que Bunker, film réalisé par Olivier Roberge et Patrick Boivin, tous deux originaires de Québec. Bunker met d’ailleurs en vedette un autre gars de Québec, Patrice Robitaille, et se résume comme un huis clos militaire d’anticipation tourné au fil  des saisons dans la vallée de la Jacques-Cartier. Qui a dit que nos films se ressemblaient tous?

Bref, avec le Festival de cinéma pour enfants qui commence à Québec et le calendrier de sorties qui s’annonce pour le mois de mars, l’affirmation « aller au cinéma, c’est fucking cool », on risque de l’entendre à plusieurs reprises au fil des prochains jours. Qu’on se le tienne pour dit.

 

Distribution aux consommateurs

J’ai déjà abordé sur ce blogue l’éternel problème du calendrier de sortie des films au Québec, problème qui se pose aussi ailleurs dans le monde. Pourquoi certains longs métrages, qui nous semblent importants, ne prennent pas l’affiche dans la capitale? Cette tare du cinéma a encore fait jaser récemment en raison de l’absence sur les écrans de Québec de Nebraska du réalisateur Alexander Payne.

Le film a reçu six nominations aux Oscars qui seront décernés le 2 mars, dont celles du meilleur film, du meilleur réalisateur et du meilleur comédien (Bruce Dern). Malgré cela, le distributeur américain Paramount n’a pas jugé bon de le distribuer hors de l’île de Montréal. Le Clap pensait bien le mettre à l’affiche, non seulement pour la belle réputation dont profite le long métrage mais aussi parce que les films de Payne ont un public fidèle, et ce, depuis le début,  de Citizen Ruth, en passant par About Schmidt et Sideways.

Ce qu’il faut déduire de cette histoire, c’est évidemment que le distributeur n’a jamais cru au potentiel commercial sur notre territoire de ce drame intimiste tourné en noir et blanc. La version offerte étant de plus unilingue anglaise. Il faut aussi savoir que les règles de distribution au Québec sont très strictes lorsqu’un film ne possède pas de version française. Voici d’ailleurs ce que stipule la Régie du cinéma à ce sujet : « Un film peut être présenté en salle au Québec sans qu’il n’existe de version française. Pendant les 45 premiers jours de sa diffusion en salle, il peut être présenté sur un nombre illimité d’écrans. À la fin de ce délai, le distributeur ne peut exploiter qu’une seule copie de ce film ».

Bref, après le délai de 45 jours où le film a été présenté dans la métropole (Nebraska ayant pris l’affiche le 29 novembre 2013), une seule copie demeurait en circulation (comme la règle l’exige). Le distributeur a donc préféré la conserver sur le territoire montréalais. Ce qui en résulte, c’est qu’au fil des semaines qui passent, les salles en région finissent pas perdre de l’intérêt pour le film car le « buzz médiatique » associé à la sortie s’estompe et que la date de sortie en version DVD, Blu-ray, Netflix, iTune et VSD devient imminente. D’ailleurs, Nebraska sortira au Québec sur ces différents supports et plates-formes le 25 février prochain. La France, elle, sortira le film en salle en version française le 2 avril prochain. Étrangement, en fouillant sur Internet, on trouve, et ce, très facilement, une copie doublée en français sur différents sites de streaming. C’est donc dire que la version française existe, circule, mais hors des salles pour un public qui ne comprend que dalle aux lois actuelles du marché, une réalité qui donne l’impression que les distributeurs improvisent parfois leurs stratégies de sorties plus qu’autre chose.

Nebraska n’est qu’un exemple parmi d’autres. Le milieu devra rapidement réévaluer ses méthodes de sortie avant de perdre totalement le contrôle. La solution ne semble pas encore trouvée et les différentes tentatives d’innover se sont soldées par des échecs. Par exemple, Only God Forgives, mettant en vedette Ryan Gosling, a été lancé en salle à Montréal le 19 juillet dernier et en VSD sur Illico au même moment. Le résultat : de nombreuses salles ont boudé le film dénonçant l’absence d’exclusivité pour la présentation de cette œuvre violente et impressionniste. Pourquoi un cinéma sortirait un film que tout un chacun peut voir dans le confort de son salon au moment même de sa sortie? La question se pose.

Le modèle actuel de lancement d’un film en prend plein la gueule. Il consiste toujours grosso modo en une sortie en salle à une date précise pour l’Amérique du Nord, suivi trois ou quatre mois plus tard de la sortie DVD et de la distribution en VSD, pour ensuite être destiné à la télé payante puis diffusé (tard en soirée bien souvent) par les télés généralistes. Bref, il est du devoir des décideurs, des producteurs, des distributeurs et des diffuseurs de se concerter afin de s’adapter aux nouvelles réalités et surtout de ne pas brimer le cinéphile qui dans tout ça, a parfois l’impression de ne plus savoir où donner de la tête. Le débat ne fait que commencer…

Le cinéma québécois a le dos large!

Les médias et les réseaux sociaux sont omniprésents dans nos vies, du moins dans la mienne puisque grandement touchée par le journalisme. Via ceux-ci, j’ai l’impression qu’il ne se passe pas une semaine sans que la vitalité et la rentabilité du cinéma québécois ne soient remises en question. Même son savoir-faire et sa spécificité font l’objet de critiques. Remarquez que nombreux sont ceux qui défendent les artisans et leurs créations sur toutes les tribunes, au même titre que ceux qui vilipendent l’industrie. Mais ce débat sans fin, qui fait aussi rage dans d’autres pays comme la France, mène à mon sens à un seul constat : il y a une pensée généralisée qui ne voit dans notre cinéma qu’une activité de loisir, activité qui ne sert qu’à engraisser une machine trop subventionnée.

Pareille conclusion me désole. J’ai toujours vu le cinéma comme un divertissement certes, mais aussi et avant tout comme une nourriture pour l’esprit, au même titre que la peinture, la littérature, la danse et le théâtre. On ne crée pas que pour faire rire et pleurer, mais aussi pour réfléchir, pour se projeter vers demain ou mieux saisir le passé. C’est du moins l’espoir que j’en retire, et ce, malgré le fait indéniable que le cinéma, c’est aussi une industrie populaire qui veut être rentable, une véritable machine à sous.

J’étais invité à la fin du mois de janvier à Ciné-Québec. Cet événement regroupe annuellement, durant quelques jours, dans un hôtel des Laurentides, les distributeurs de films, les gérants de salles de cinéma, les réalisateurs et producteurs de longs métrages québécois. On y présente les bandes-annonces des films d’ici qui sortiront en 2014. En tout, on y a présenté des extraits de plus d’une vingtaine de productions. Je ne peux dire si elles seront toutes de qualité ou si elles attireront les spectateurs en masse, mais j’y ai vu, sans aucun doute, des bouts de films qui m’ont ébloui. Sans blague, l’année qui vient promet d’être impressionnante.

J’ai été séduit par les allures de fable fantastique du film Henri Henri de Martin Talbot, transporté par les émotions à fleur de peau du nouveau film de Podz, Miraculum. Glacé par l’intensité dramatique de Tom à la ferme de Xavier Dolan, intrigué par Bunker réalisé par le tandem originaire de Québec, Patrick Boivin et Olivier Laberge. J’ai souri devant le nouveau Denys Arcand, Le Règne de la beauté, j’ai été épaté par les couleurs du Coq de St-Victor, attiré par les frasques des adolescents de 1987 de Ricardo Trogi, conquis par le charme sportif de Laurence Leboeuf dans La Petite Reine. J’ai rigolé des clichés véhiculés sur notre cinéma soulignés par des policiers dans Furie d’Émile Gaudreault et j’ai finalement été troublé par Paul Doucet en père qui veut revoir son enfant dans le film La Garde.

« Vendu, j’ai l’air », dirait Yoda! Pourtant je suis assez critique envers les œuvres que nous réalisons bon an, mal an. Même si seulement le tiers de nos productions me rejoignent annuellement, j’aime mieux défendre la liberté de création et l’audace des François Delisle et Denis Côté que de me contenter uniquement de films pop-corn aux scénarios bâclés. Car si problème il y a dans notre cinéma, c’est le manque de films rassembleurs de grande qualité.

Rencontrés lors de Ciné-Québec, les comédiens Marc-André Grondin et Michel Côté ont eu de belles réflexions à ce sujet. Grondin estime qu’il faut, à l’image des Américains, investir dans la scénarisation. Le métier est valorisé aux États-Unis, il y a une tradition d’excellence en cinéma et en télévision pour les scénaristes, dira t-il. Côté, lui, affirme que nos films qui n’attirent que peu de gens sont solides. Ils voyagent dans les festivals, gagnent des prix, font avancer le cinéma. Le problème, précise-t-il, ce sont les films qui sont censés marcher et qui ne marchent pas. L’exemple de C.R.A.Z.Y. revient toujours, une œuvre aussi appréciée par le public que par les critiques. C’est vers ce genre de succès qu’il faut tendre. Bref, la qualité des films « grand public » doit être relevée. les résultats positifs se feront aussitôt sentir.

Le dossier est-il clos? Pas pantoute. On en rediscutera à la sortie d’une salle, et avec un sourire, je l’espère!

Paname, suite et retour!

Les entrevues se sont succédé de façon étourdissante, les acteurs, actrices, et réalisateurs de l’Hexagone accueillant dans des chambres exiguës des journalistes internationaux à la queue leu leu. Des chambres dont les poignées de porte, faut-il le rappeler, sont ornées de chronomètre afin de respecter les 10, 15 ou 20 minutes accordées pour mettre en valeur les films achetés par les différents distributeurs mondiaux.

Ainsi, de samedi à lundi, j’ai eu la chance de rencontrer en vitesse plus d’une quinzaine d’artisans du septième art français : François Cluzet (plus ou moins convaincant), François Ozon (toujours aussi vif d’esprit), Sara Forestier (sanguine comme dans L’Esquive),  Alexandre Castagnetti et Nicolas Bedos (frères d’armes), Ariel Zeïtoun (lucide et passionné), Albert Dupontel (frondeur, baveux, transparent), Alejandro Jodorowsky (INTENSE), Guillaume Gouix (cabotin) Bertrand Tavernier (rieur et volubile), Sandrine Kiberlain (allumée) et Cédric Klapisch (posé et réfléchi).

Ces rencontres, surtout cette année en ce qui me concerne, ont été assez surprenantes. Certaines déclarations émises ont été aussi touchantes que déstabilisantes :  Dupontel soulignant le fait que Sandrine Kiberlain est arrivée sur son tournage sans savoir ses répliques, cette dernière avouant se sentir comme un imposteur quand elle lance un album de chansons, Tavernier s’émerveillant de l’énergie inépuisable de Thierry Lhermitte et Jodorowsky, lui, endossant spontanément la cause d’un cinéma libre et indépendant au Québec, photo à l’appui.

Le bilan se doit d’inclure aussi le constat annuel de la situation du cinéma français en 2013 vu par Unifrance, organisme en charge d’accueillir les journalistes étrangers. Eh bien, là-bas, les questions sont les mêmes qu’ici : le cinéma commercial qui attire les foules ou qui s’effondre parfois sans raison, le cinéma d’auteur plébiscité dans les festivals et n’attirant qu’une poignée de spectateurs une fois rendu en salle, etc. Une chose est sûre, et ce, même si au Québec le cinéma français attire moins de public qu’avant, c’est que l’industrie là-bas, fort de ses 170 productions annuelles, est encore des plus vivantes et des plus diversifiées. L’exception culturelle française existe, et elle existe de plus sur un territoire qui par tradition a toujours laissé une grande place aux cultures étrangères, aux films d’ailleurs. S’il y a un modèle à suivre, de façon générale bien sûr, et ce, malgré tous les questionnements qui refont surface chaque année, c’est bien celui du cinéma français.

À suivre!

 

Bertrand Tavernier

Bertrand Tavernier

Alejandro Jdorrowsky

Alejandro Jodorowsky

Sandrine Kiberlain

Sandrine Kiberlain

 

Paname

 

Unifrance, organisme voué à la promotion du cinéma français à l’international, invite en janvier, et ce, depuis plusieurs années, des journalistes québécois et européens à Paris afin de leur faire réaliser des entrevues reliées à des films qui sortiront bientôt en salle à l’étranger.

Depuis l’an passé et encore cette année, je fais partie des chanceux qui participent à l’événement. Une dizaine de journalistes québécois sont ici présents pour rencontrer réalisateurs, acteurs et actrices pour de courtes entrevues variant de 10 à 30 minutes chacune.

Pour me préparer au voyage, je devais me farcir, avec bonheur, le visionnement de quelque 25 longs métrages français dont Angélique (nouvelle version), Casse-tête chinois (3e volet de la série de films de Klapisch), Jeune et jolie de François Ozon, 9 mois ferme d’Albert Dupontel et La Danza de la realidad du mythique Alejandro Jodorowsky.

Les rencontres se déroulent dans un hôtel luxueux aux abords de l’Opéra de Paris et des Galeries Lafayette. Un étage presque complet est réservé aux entrevues, celles-ci minutées au quart de tour, chronomètre à l’appui.

Vendredi, c’est le départ du marathon. Ça commence avec un entretien filmé avec Ludivine Sagnier pour la comédie Amour et turbulences. L’actrice est souriante et souligne qu’elle donnera seize interviews en ligne cette journée-là. Elle s’amuse à nous dire qu’elle jouera bientôt dans un film français réalisé par un Québécois (lequel, j’y reviendrai) et que son rêve est de tourner un film sous la direction de Kim Chapiron (son conjoint actuel et père de son deuxième enfant). Tiens donc!

Par la suite, direction chambre 2126 dans laquelle nous attend Audrey Tautou pour nous entretenir du film Casse-tête chinois, mettant aussi en vedette Romain Duris et Cécile de France. D’apparence chétive et frêle, la comédienne est cependant des plus dynamiques. Elle blague, rigole, fait preuve d’autodérision et bref, réussit à séduire l’ensemble des journalistes internationaux qui l’entourent pour cette table ronde de 30 minutes.

Ce soir, Unifrance organise une conférence de presse pour faire le point sur l’état du cinéma français et son rayonnement à l’échelle mondiale. J’y assisterai et vous donnerai des détails sur ce bilan ainsi que sur mes rencontres qui se poursuivent jusqu’à lundi soir prochain. Vous pourrez aussi, au fil des magazines à paraître et de quelques capsules vidéo, lire ou voir certains de ces entretiens et ainsi donc en apprendre davantage sur de nombreux films français qui prendront l’affiche d’ici septembre au Clap.

 

Alléchant début d’année!

Le début de cette nouvelle année cinéma est marqué par l’arrivée d’une pléthore de productions internationales et québécoises aux sujets variés. Voici un petit regard rapide sur quelques titres qui sortiront en salle de janvier à avril et qui, selon moi, méritent notre attention.

Tout d’abord, soulignons l’arrivée à Québec de plusieurs films importants lancés de façon restreinte en fin d’année aux États-Unis ou encore présentés lors de différents festivals en 2013 : Her, Labor Day, Inside Llewyn Davis, Le Passé. Puis, on constate dans le calendrier de sorties qu’un nombre effarant de productions québécoises prendront l’affiche au cours des prochaines semaines. Vingt-cinq films québécois, fictions et documentaires, seront lancés d’ici le mois de mai dont les très attendues nouvelles œuvres de Podz (Miraculum), Denys Arcand (Deux nuits) et Xavier Dolan (Tom à la ferme). Aussi à découvrir, Bunker, deuxième long métrage du réalisateur originaire de Québec Patrick Boivin, coréalisé par Olivier Roberge et mettant en vedette Patrice Robitaille, Martin Dubreuil, Ricardo Trogi et Julien Poulin. L’intrigante bande annonce s’adresse aux amateurs de films d’anticipation et de duels d’acteurs.

La rentrée nous proposera également Casse-tête chinois, dernier volet de la trilogie de Cédric Klapisch entamée avec L’Auberge espagnole. Également à voir, The Devil’s Knot d’Atom Egoyan, qui pourrait marquer le retour en force du cinéaste canadien et An Enemy, second film que Jake Gyllenhaal a tourné sous la direction de Denis Villeneuve après Prisoners. Puis, place à un péplum aussi ringard que prometteur, Noé, revu et corrigé par Darren Aronofsky à partir d’une série de BD dont il signe le scénario et dessinée par le Québécois Niko Henrichon. En science-fiction, Transcendence avec Johnny Depp semble très prometteur alors que les fervents d’images et de réflexion voudront découvrir la nouvelle création de Godfrey Reggio (Koyannisqatsi) intitulée Visitors. Finalement, l’homme par qui le scandale arrive, Lars Von Trier, est de retour non pas avec un, mais bien deux films lancés le 21 mars prochain, soit Nymphomaniac, volumes 1 et 2.

Sur ce, à l’invitation d’Unifrance, je m’exile quelques jours à Paris afin de faire des entrevues avec des réalisateurs, comédiens et comédiennes reliés à la promotion de films de l’Hexagone qui sortiront ici en 2014. Je profiterai du blogue pour vous résumer la façon dont se déroulent ces rencontres qui ont pour but de mettre de l’avant le cinéma français actuel, qui, au Québec, rappelons-le, semble avoir moins la faveur populaire qu’autrefois.